«Parfois, on a honte pour Dieu...»

C'est soeur Emmanuelle qui parle. «Il y a trop de souffrances», dit-elle
Noël? Allez, on s'empiffre! Curieuse manière, quand on y pense, de célébrer la naissance d'un petit enfant répondant au doux nom de Jésus mais, depuis le fond des temps, les réjouissances s'accompagnent de libations et de nourritures terrestres. Une chose semble sûre : nous ne trouverons pas la guerre dans nos cheminées. Elle n'est pas pour demain. Plutôt pour après-demain. C'est toujours cela de gagné. Parmi les dernières images, fugitives, de 2002, deux ont frappé. La façade de l'ambassade de Chine dans une ville de Corée du Nord. Deux silhouettes y pénètrent. Quelques instants s'écoulent, puis les deux silhouettes sont violemment projetées dehors et s'enfuient (LCI). Ce sont des Coréens qui venaient chercher asile. Le monde, aujourd'hui, c'est ça : des gens qui cherchent à entrer quelque part et d'autres gens qui les chassent. Deuxième image : Biljana Plavsic, ex-présidente des Serbes de Bosnie, pendant son procès devant le Tribunal pénal international. 72 ans. Un visage sensible. Elle s'est présentée volontairement devant le Tribunal. Elle demande pardon aux victimes de la politique criminelle qu'elle a encouragée. Elle ne nie pas. Quand on lui demande pourquoi elle n'a pas quitté sa charge quand elle a pris conscience de la réalité, elle répond : «Parce que je l'ai découverte avec effroi?» Mais elle refuse de charger Milosevic. L'Eglise l'a laissée tomber. Elle est seule avec son passé. Il me semble que Franz-Olivier Giesbert invite de plus en plus de monde à son émission «Culture et dépendances», que les quelques livres présentés sont de fugaces prétextes, mais qu'il a réussi à reconstituer un salon, un lieu où se retrouvent des gens de bonne compagnie qui peuvent parler de tout avec agrément. Ce fut le cas la dernière fois avec une assemblée hétéroclite où sœur Emmanuelle, au mieux de sa verve, le professeur Bernard Debré, terrorisant au sujet de la débâcle hospitalière, Françoise Xenakis, trop discrète, Max Gallo, Jack Lang, Yann Queffélec, Jean-François Kahn, Jacques Vergès furent invités à deviser sur Dieu. Vaste sujet. Sœur Emmanuelle était à son affaire. Si elle y croit? «Ça dépend des jours. Il y a trop de souffrances? Quelquefois, on a honte pour Dieu?» Mais avec l'énergie roborative qu'on lui connaît, elle secoua tout ce monde en répétant : «Il faut avoir foi en l'homme. Il faut croire en l'homme!» Selon Max Gallo, des intellectuels ont décidé de penser par eux-mêmes et de dire aux autres : «Ce que vous pensez, on s'en fout.» Fort bien, et alors? Alors, il écrit sur saint Bernard, Clovis et? j'ai oublié le troisième. Pas vraiment provocant! Il n'est pas sûr que Dieu aura beaucoup recruté au cours de cette émission, mais on la regardait sans ennui. Epouse de ministre. Il n'y a pas de situation plus bête. Il est mal vu, pour ne pas dire impossible, d'avoir une activité professionnelle. Il est mal vu d'être remarquable par son élégance ou par son inélégance, il est mal vu d'entretenir des relations avec le monde des artistes. Si le ministre est un poids lourd, il ne rentre jamais chez lui avant 10 heures du soir, éreinté. Le week-end est mangé par les histoires de parti, le portable ne cesse de sonner. Que fait l'épouse? Avec plus ou moins de bonne grâce, elle attend. Cécilia et Nicolas Sarkozy ont rompu avec cet affligeant schéma. Elle travaille avec lui et a ouvert les portes du ministère de l'Intérieur, où ils habitent, pour montrer comment cela se passe. En fait, elle cumule la charge de maîtresse de maison avec une lourde domesticité, parce qu'on reçoit beaucoup chez les Sarkozy, avec une sorte de secrétariat supérieur, elle gère son agenda, son emploi du temps, et se tient disponible pour être assise à côté de lui autour de la table où se tiennent les réunions de cabinet. Elle dit : «On a tous les deux besoin de l'autre. On fonctionne comme ça.» Elle a un geste qu'elle répète. Quand il se penche vers elle et que son front se trouve à la hauteur des lèvres de sa femme, elle y pose un baiser furtif. Un petit garçon qui courait entre leurs jambes, façon John John Kennedy dans une image illustre, ajoutait à l'impression d'intimité que donnait le reportage réalisé par France2. Avec l'accord et la coopération des intéressés, naturellement. Ont-ils eu tort? Je ne crois pas. Des gens qui s'aiment, cela fait toujours plaisir à voir. Enfin, Bernard Pivot s'est baladé à Venise pour rencontrer des bilingues italiens, espèce très courante. Et puis ils ont tous lu Stendhal. Une journaliste, que Pivot interrogeait dans son palais gothique, le stupéfia en lui racontant que son mari était un entraîneur génial de football qui avait inventé le «verrou». «Herrera! » , s'écria Pivot plus ému que si on lui avait annoncé Dante. C'était drôle. F. G.

Jeudi, décembre 26, 2002
Le Nouvel Observateur