Quel quatuor! Les frères Papet, le flic et le truand, confrontés à une autre paire, Dominique et Jean-Toussaint Desanti...
C'est excellent, ce déploiement d'associations hétéroclites dressées contre l'OMC. Voilà tout à coup des citoyens venus d'un peu partout, qui se mêlent de ce qui les regarde : l'organisation du commerce mondial. Les thèses s'affrontent, les revendications sont antagonistes, les intérêts divergent, mais un grand cri s'élève contre ce qu'on appelle la mondialisation : sus à l'OMC, ce gouvernement mondial occulte qui opprime les plus pauvres! On y dit tout et n'importe quoi. Mais c'est un exercice sain, démocratique. Une sorte de grand défoulement collectif, qui conduira peut-être les décideurs de Seattle à plus de considération pour ceux qu'on appelle «les gens» et qui comprennent de moins en moins le monde où ils vivent. Et cela, ce n'est pas sain. «Edition spéciale» a dérapé l'autre semaine en donnant à croire que 20% des bébés frappés de mort subite sont en réalité tués délibérément par leur mère. A l'appui de ces affirmations terribles, des images prises aux Etats-Unis par des caméras de surveillance, images passées et repassées dix fois, montrant deux femmes étranglant leur bébé. Spectacle abominable, sensationnalisme qui a bouleversé tous ceux qui ont perdu un bébé subitement ou qui en ont un. Panique? C'était une mauvaise action, cette émission. «Arrêt sur images» s'est logiquement emparée de l'affaire et a cuisiné l'auteur du reportage qui se prend pour un héros. Quelle que soit la part de vérité que contiennent ses allégations, s'il y en a une, elles étaient indésirables à 9 heures du soir sur nos écrans. L'admirable est qu'il a pris l'engagement de ne pas diffuser ces images aux Etats-Unis! Alors quoi? Ici, c'est la poubelle? Cela n'avait pas l'air vrai, mais ça l'était : ces deux frères tranquilles au sourire myosotis, Bruno et Michel Papet, sont respectivement flic et truand. Ou plutôt l'étaient. Le premier a pris sa retraite, le second est sorti de taule après quinze ans de prison. Ils publient ensemble un livre où chacun se raconte. Bon. Ce qui frappait à les entendre («Bouillon de culture» France 2), ce n'était pas la divergence de leurs trajectoires mais plutôt la proximité actuelle, après tant d'années de séparation, c'est la tendresse entre ces deux hommes quand chacun dit de l'autre, la voix mouillée : «C'est mon frère.» Curieuse paire, confrontée à une autre paire toute différente, Dominique et Jean-Toussaint Desanti, elle écrivain, lui philosophe des mathématiques, enseignant adoré par trois générations d'élèves. Les frères Papet n'ont qu'une vague idée de la philosophie. Ils écoutent ce que raconte Desanti. L'un dit : «On est loin de tout ça?» Avec Robert Desnos, dont Dominique Desanti publie la biographie, on retombe sur terre. Elle parle très bien du poète, délicieux, qu'elle a bien connu, et de tout le milieu surréaliste. Elle lit quelques vers, «J'aime l'amour, sa tendresse et sa cruauté?». Les frères Papet apprécient : «Le surréalisme, on ne connaissait pas bien.» Un quatuor inattendu. A entendre, sur TF1, Fabrice Luchini, si brillant et pertinent à propos de La Fontaine, discourir sur la droite et la gauche et Jospin, on se demande s'il a intérêt à s'égarer du côté de Bedos. Oui, vraiment, on se le demande. F. G.
Jeudi, décembre 2, 1999
Le Nouvel Observateur