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Réflexion sur le régime actuel, sur les possibilités d'accès à une nouveau pouvoir. Joue le rôle de la mouche de coche. Elle bourdonne pour réveiller les coches. (titre fait allusion au son d'une mouche de coche).
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par FRANÇOISE GIROUD

Joindre ses larmes à celles des crocodiles gémissant parce que le général de Gaulle traite le Parlement comme le reste, par le mépris : franchement, non.
Pour une première raison : c'est que l'immense majorité des parlementaires s'est fait élire sur son nom. Les gaullistes intermittents, serviles lorsqu'il s'agit d'arracher un siège, vacillants lorsqu'une fraction du pays gronde, ne peuvent sous aucun prétexte être respectables, donc respectés. Et s'ils ne sont pas opportunistes, c'est pire : ils révèlent, ces hommes qui prétendent à la conduite ou au moins au contrôle des affaires de la nation, un pénible aveuglement.
Se figuraient-ils, par hasard, réfugiés en 1958 derrière un général par peur des militaires, que le Saint-Patron dont ils se firent les apôtres allait se laisser conduire par la barbichette hors du dogme qu'il avait lui-même clairement érigé ? La France, c'est de Gaulle. Les Français, c'est le reste. Ils font partie du reste. Amen.
Les vrais gaullistes, les purs, les dévoués, les tout-acquis sont non seulement plus sympathiques, mais plus conséquents.
Ils savaient le passé aboli et les méthodes anciennes de gouvernement non adaptées à la situation. Ils ont cru que leur grand homme, muni de tous pouvoirs, serait l'homme du présent et qu'un régime semi-autoritaire fondé sur l'indiscutable adhésion du pays serait le grand régime réformiste qui ferait l'économie d'une révolution, qui enfanterait la démocratie de l'avenir en épargnant au pays les convulsions d'une transition brutale.
Jusqu'à présent, il n'apparaît pas que leur espoir ait été bien placé. C'est dommage.

Des maîtres à penser

Des problèmes, il y en aura toujours. Mais de nature et de gravité inégales.
Trois ans et demi de régime gaulliste ont abouti essentiellement a la création d'un parti révolutionnaire puissant, puisque seul il est armé, puisque seul il est animé par la passion, puisque, enfin, l'évolution des événements en Afrique du Nord ne peut qu'alimenter son amertume et son humiliation.
Pouvait-il en être autrement ? Sans doute, mais l'Histoire est déjà assez difficile à comprendre sans s'obstiner à se demander ce qu'elle aurait pu être.
Aujourd'hui, c'est ainsi. En face, de ce parti révolutionnaire, l'Armée, une seule force existe dont nous avons souvent tendance à sous-estimer l'importance. C'est la force d'inertie.
Elle n'est ni féconde, ni explosive. Mais aussi longtemps que de grands malheurs ne frapperont pas de grandes catégories de citoyens — et en tout cas il faut souhaiter que cela nous soit épargné — la force d'inertie sera considérable.
Elle a un programme, non écrit mais non négligeable : « Pourvu que ça dure ». Elle a ses maîtres à ne pas penser, de M. Pinay à M. Mollet. Et comme elle recrute également à gauche et à droite, comme les secousses violentes sont redoutées de tous les côtés — attitude qui peut être aussi bien interprétée comme une forme de sagesse et de haute civilisation, que comme une absence de courage et de dynamisme — la force d'inertie devrait être un élément permanent de toute analyse politique car elle est capable de paralyser le développement des pires entreprises comme des meilleures.
Quant aux forces actives de gauche, il semble bien qu'elles existent au stade des individus, que dans tous les secteurs des hommes sentent la nécessité de concevoir une forme neuve de démocratie, une pensée dégagée du sentimentalisme mais non de l'humanisme, et des plans d'action pour l'avenir élaborés en fonction du présent et non de 1848. Ni même de 1948.
Mais il s'agit là de forces inorganisées, dispersées, sans doctrine, sans programme.
A quoi pensent-ils donc, à quoi travaillent-ils donc ceux qui, à gauche, seraient capables d'un effort de réflexion et de création ? Etre dans l'opposition, ce n'est pas un programme. C'est un préalable.
Une façon de dire ce que l'on ne veut pas.
Ensuite, il faut savoir ce que l'on veut, ou bien s'attendre à voir ceux qui le savent confisquer un jour les déceptions, les amertumes, et aussi les énergies. La force va à la force.
Cela n'est-il pas également vrai à l'échelle mondiale ?
Qui veut le pouvoir ?
Les pronostics sont toujours hasardeux, surtout lorsqu'ils contiennent une notion de durée. Tant pis. Je crois, moi, que sauf accident physique survenant au chef de l'Etat, nous l'avons encore pour un bon bout de temps à la tête des troupes que lui fournit la force d'inertie.
Ce temps-là, il faut l'employer à avoir de l'imagination pour l'avenir. La jeunesse, ce n'est rien d'autre pour un peuple comme pour un individu que le sens du futur.
Que le Parlement siège ou ne siège pas, légifère ou ne légifère pas au sujet des agriculteurs, c'est vraiment un aspect mineur du présent.
Qui veut le pouvoir à gauche et pour faire quoi ? Avec quelles perspectives ? Quels idéaux ? Et surtout avec quelles idées concrètes sur l'organisation de la société ?
Ce ne sont pas les militants qui manquent. Il y en aura le jour venu et, pour le moment, peu importe qu'ils fassent nombre. Mais autour de quelle vision nouvelle et cohérente d'une démocratie de demain, adaptée à la situation spécifique de la France, les mobilisera-t-on ?
Il ne s'agit pas seulement de savoir si un régime doit être présidentiel ou non, si des élections sont meilleures à la proportionnelle ou à l'arrondissement, et quels rapports doivent exister entre le législatif et l'exécutif.
Autour de quelle philosophie, de quelle morale les réunira-t-on ? Quelles sont les valeurs que nous voulons conserver, celles qui sont mortes, celles qu'il nous faut découvrir et faire découvrir ?
Tout cela, sans doute, ne peut être du jour au lendemain codifié dans des textes. Mais pour que lève le grain, il faut le semer.
Ceci n'est pas une autocritique. Une telle expression serait par trop immodeste. Il n'est pas bon que les mouches se prennent pour les coches. Elles peuvent, seulement, lorsque les coches somnolent, bourdonner pour qu'ils s'éveillent.
Je bourdonne.

F. G.

Mardi, octobre 29, 2013
L’Express