Vivre mieux - Faut-il vraiment faire du sport ?

Le rapport des Français au sport et ses bienfaits
« La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, qui ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d'infirmité. »
Telle est la définition donnée par l'Organisation mondiale de la santé.
Ce n'est donc pas un état courant, ni permanent pour qui que ce soit. Délicieux quand on y accède, il est rare à tout âge, y compris dans l'enfance, et dépend de trop de facteurs pour que l'on s'y maintienne imperturbablement.
Sous de nombreux aspects, il dépend des pouvoirs publics : lieux d'habitation, conditions de transport et de travail, organisation sociale au sens le plus large du mot.
Mais notre propos n'est pas, dans cette série d'articles, d'étudier ce qu'il faudrait faire. Ni de dire ce que sera, en mieux ou en pis, la vie en l'an 2000.
C'est aujourd'hui que se déroule notre existence, dans une situation donnée. C'est aujourd'hui que vivent, en France, les hommes et les femmes, indemnes « de maladie ou d'infirmité », auxquels s'adresse cette enquête, menée par Rosie Maurel, Jacques Derogy et Christine Callet, et réalisée avec la collaboration des plus grands médecins français.
Son but : aider ceux qui la liront à vivre mieux, à maintenir ou à atteindre, autant que faire se peut, sinon « le complet bien-être », du moins le plaisir d'être au mieux de ses possibilités personnelles.

Faut-il vraiment faire du sport ?

Le bien-être a trois grands ennemis : notre alimentation ; la vie sédentaire de tous ceux qui habitent les villes ; l'anxiété et ses corollaires.
La sédentarité est, des trois problèmes, le plus simple, parce qu'il n'a pas de racines psychologiques. Il est cependant compliqué, parce qu'il ne dépend pas de nous, par exemple, d'habiter à une distance telle de notre lieu de travail que nous puissions nous y rendre à pied. Ou d'aller à la campagne au milieu de la semaine. Alors les uns passent d'un parking à un autre parking, de leur voiture à leur chaise de bureau. Puis, tous muscles en flanelle, se précipitent sur une raquette, un cheval ou une tondeuse à gazon.
Les autres renâclent, dès 25 ans, devant quatre étages à monter, oubliant ou ignorant que le corps ne s'use que lorsqu'on ne s'en sert pas. Et découvrent un jour autour de leur taille les centimètres mous qu'ils auraient aimé avoir, durs, à la hauteur des épaules.
Petite déception d'ordre esthétique moins fâcheuse que l'inconfort psychologique qu'elle entraîne. Dégoût de soi, gestes dont la maîtrise vous échappe, avertissement ironique que donne la valise soudain trop lourde et « aïe... qu'est-ce que je me suis fait au dos ? »
Les femmes accomplissent encore assez de travaux ménagers pour « se dépenser ». Mais dans quelles conditions ? Elles portent des paquets et des sacs à provisions. Elles se plient en deux pour faire des lits trop bas. Elles ne soulèvent plus, heureusement, de lessiveuses, mais soulèvent toujours leurs enfants en cambrant les reins pour atténuer l'effort, alors qu'il faut faire le contraire et contracter en même temps les abdominaux.
Et combien se rompent les épaules en tapant à la machine ?
Seul, un corps aux muscles régulièrement entretenus par une activité physique appropriée peut donner un certain « plaisir d'être » quotidien, répondre sans grincer quand on lui demande un effort, et s'adapter à l'activité nouvelle ou exceptionnelle qu'on lui demande d'exercer en vacances. C'est la vraie fonction du sport dans la vie de l'adulte moderne.
Pour faire dans ce domaine la part de la mode, de la mythologie et de l'observation scientifique, L'Express a interrogé les grands médecins sportifs français, les Drs Pierre Mathieu et Paul Chailley-Bert, pionniers de la
méthode physique, et le Dr Robert Andrivet, de l'Institut national des sports à Vincennes.

A quoi s'expose le sédentaire

Faut-il faire du sport ?

On ne le répétera jamais assez. Il ne faut rien. Personne n'est « coupable » de vivre à sa manière, quand elle ne porte pas tort aux autres.
Le sport n'étant pas encore, en France, « naturel », il exige bien souvent un grand effort. On le tient pour une marotte, et il l'est parfois. Pour un snobisme, et il l'est souvent. Pour le privilège d'une classe sociale, et il l'est dans certains cas.
Ce n'est pas un hasard si les parents qui n'ont jamais pu, eux-mêmes, faire du sport, ou les jeunes gens affectés d'un complexe d'infériorité sociale, sont fascinés par l'équitation. L'homme à cheval est celui qui regarde les autres de haut. Du haut de son cheval.
Il ne faut pas faire du cheval, du ski ou du tennis. Simplement : le sédentaire s'expose, plus qu'un autre :
— à la surcharge graisseuse et à tout ce qui en découle ;
— au raidissement plus ou moins précoce des muscles et articulations ;
— à la dégénérescence précoce des grandes fonctions organiques. Fonctions digestives (par la fatigue des organes éliminateurs, foie et reins), respiratoires (encrassement pulmonaire, essoufflement) et circulatoires (dépôt sur la paroi des artères).
Si aucune activité n'est accessible, une marche quotidienne de trente minutes, faite d'un bon pas, sans station, et un oubli persistant de l'existence des ascenseurs, sont d'un effet certain.

Du sport pourquoi ?

Parce que l'exercice physique est un facteur :
— de désintoxication physique ;
— de détente intellectuelle ;
— d'équilibre mental.
DÉSINTOXICATION : en augmentant l'oxygénation pulmonaire, l'exercice favorise la combustion des graisses et des sucres dont nous abusons.
En provoquant la transpiration, il permet d'éliminer les déchets toxiques, ô combien, notamment l'urée : une injection de 5 centicubes de sueur humaine produite au cours d'un effort suffit à tuer un chien.
Il maintient enfin la souplesse des muscles et des articulations. Combien de femmes consacrent à des rides futures ou présentes un temps et un argent qui ne camouflent jamais la raideur d'un corps, la lourdeur d'un pas, la mollesse gainée d'un ventre.
L'exercice prévient les déformations et l'enraidissement articulaire. Et, en tout cas, les retarde.
DÉTENTE INTELLECTUELLE : chacun peut l'observer. Une activité physique, qui est souvent jeu, lave le cerveau, parce qu'elle concentre l'attention sur les gestes, ou un objet. Le nerveux devient moins nerveux, l'intransigeant plus indulgent, quand il pratique une activité physique régulière.
EQUILIBRE MENTAL : l'homme n'est pas seulement un corps ou seulement un esprit, mais une combinaison des deux. Perdre conscience de son corps et la notion de ses limites est une manifestation que présentent parfois certains malades mentaux. Chez le Dr Paul Sivadon, au centre psychiatrique pilote de La Verrière, c'est au moyen d'exercices physiques que l'on s'emploie à leur rendre conscience d'avoir des bras, des jambes. Pour l'homme dit normal, la pratique des sports facilite les relations, le contact avec les « autres », contact essentiel pour la santé mentale, et rend plus aisée l'adaptation à la vie en société.
La maîtrise d'un sport délivre du sentiment d'exclusion que la maladresse ou l'incapacité exaspèrent.
D'autre part, nous travaillons presque tous, aujourd'hui, dans des conditions qui nous mettent en état de « mobilisation immobile », qu'il s'agisse de stationner devant une machine ou d'étudier un dossier — sans que dépense physique s'ensuive. Tout ce qui est ainsi mobilisé dans le corps pour l'action en est, en quelque sorte, frustré. D'où, sans doute, la rage de conduire, pour se « décompresser ». Mieux vaut, cent fois, courir.

Le sport n'est pas bon pour tout le monde

La pratique du sport de compétition prolonge-t-elle la vie et la santé ?

Non. Les athlètes les plus accomplis ne vivent pas plus longtemps que la moyenne des mortels. Au contraire. La dépense nerveuse et l'effort physique qu'ils fournissent — et qui sont sans rapport avec la pratique d'un sport en amateur — en sont peut-être la cause. 1 100 athlètes volontaires ont déjà répondu aux questions établies par la Fédération internationale de médecine sportive et feront désormais l'objet d'examens, médicaux complets tous les huit ans jusqu'à la fin de leur vie. En 1988, 20 000 athlètes devraient être fichés. Grâce aux ordinateurs, on espère pouvoir dégager les facteurs qui abrègent leur existence.
D'une façon générale, toute exagération dans la pratique d'un sport est nocive. L'adolescent qui fait deux heures de piscine quatre fois par semaine est vite surmené, épuisé, amaigri.
Le Dr Mathieu insiste là-dessus : « Le sport a une action sur l'organisme, tout comme un médicament. Il ne faut pas dépasser les doses normales et atteindre les doses excessives, car le remède fait plus de mal que de bien. Il ne faut pas se tromper de sport, pas plus que de remède. »

Quel sport faut-il pratiquer ?

« On a dit que le sport était bon pour tout le monde, dit encore le Dr Mathieu. C'est une erreur. Un individu donné ne peut pratiquer que certaines catégories de sports, et dans des conditions précises. »

Qui fait du sport en France?

38 % des hommes n'ont jamais pratiqué un sport de leur vie ;
70 % des femmes.
Parmi ceux qui ont pratiqué :
23 % seulement continuent parmi les 21-24 ans ;
13 % parmi les 25-34 ans ;
10 % parmi les 35-44 ans.
- L'âge moyen d'abandon se situe le plus souvent avant 25 ans.
- Parmi ceux qui ont pratiqué un sport dans leur vie, la profession du chef de famille passe de 47 % parmi les ouvriers (dont 12 % continuent) à 68 % parmi les cadres supérieurs, professions libérales, gros commerçants (dont 27 % continuent).
Cadres moyens et employés : 58 %, dont 20 % continuent.
Encourageant : 96 % des Français estiment qu'il est important de faire faire du sport aux enfants.
(Enquête Sofres pour L'Express.)

Il cite des exemples. Une jeune fille a découvert le hockey en Angleterre. C'est un sport dur. Le Dr Mathieu l'examine. Son cœur ne lui permet pas de courir assez vite. Elle a une épaule plus haute que l'autre : le hockey va accuser cette déformation. C'est le volley-ball qui serait le mieux adapté à ses possibilités physiques et qui la développera harmonieusement, au lieu d'accentuer ses défauts.
A tout âge, il est essentiel de trouver le sport qui convient à la morphologie et aux possibilités physiques de chacun. Seule la natation n'est jamais contre-indiquée, sauf en eau très froide.
A tout âge, il faut se montrer particulièrement vigilant à propos de :
— la plongée sous-marine, qui exige un cœur, des poumons et un système nez-gorge-oreilles en parfait état, sous peine de désagréments graves ;
— l'équitation, si la colonne vertébrale est fragile.
Les meilleurs sports sont ceux que l'on pratique en plein air et au soleil.
Par temps froid, seules les personnes très résistantes et très entraînées peuvent exercer un sport de plein air (ski excepté). Les autres s'exposent à contracter rhumes, angines, sinusites, etc. Mieux vaut pratiquer une activité physique en lieu clos.

Tous les sujets sans exception étaient en meilleur état

A quoi sert la culture physique ?

Elle est ennuyeuse... et efficace.
Mais elle ne s'apprend pas dans les journaux ou les clubs de vacances. Ce qui est bon pour les hommes ne l'est pas pour les femmes (en particulier, certains exercices pour les abdominaux). L'exercice peut être miraculeusement correctif d'un pied plat, d'un dos fragile ou fragilisé par la voiture ou des sièges de travail inadéquats. Il peut aussi aggraver des dispositions mauvaises. Quelques leçons avec un bon spécialiste, kinésithérapeute diplômé, permettront à chacun de savoir ce qui est bon pour lui.

Quand faut-il s'y mettre ? Et s'y remettre?

Dès 5 ans, on peut mettre progressivement et fructueusement un enfant à la pratique de la natation et du ski, de tous les sports joués. Equitation : vérifier la colonne vertébrale. Tennis : pas avant que l'on soit capable de supporter le poids de la raquette et l'impact de la balle. C'est-à-dire autour de 10 ans. Volley-ball : à partir de 10-12 ans, moment où l'on peut supporter le poids du ballon et atteindre le filet.
Mais un enfant qui dit : « Je suis fatigué » ne doit en aucun cas être forcé. Il doit être examiné. Il a peut-être un début de scoliose, les pieds plats, des végétations, etc. Dans bien des cas, l'exercice physique peut avoir un effet préventif ou correctif.
Les médecins suédois ont soumis à un entraînement intensif physique, mais attentivement surveillé — ski, natation, course — des groupes de jeunes gens de 5 à 19 ans. Leur capacité à l'effort physique avait été mesurée avant l'entraînement, grâce à la bicyclette dite ergométrique. L'entraînement a duré six mois, pendant lesquels les sujets ont été soumis régulièrement à des analyses d'urine, de sang, des examens cliniques, des tests de consommation d'oxygène, de travail cardiaque, etc. Au bout de six mois, tous les sujets sans exception se trouvaient en meilleur état physique, capacité respiratoire et volume cardiaque augmentés, y compris les diabétiques mêlés à l'expérience.
Mais les Français qui ont appris la pratique d'un sport dans leur jeunesse, qui la poursuivent régulièrement, qui font de la culture physique, en un mot qui s'entretiennent, constituent une noble exception (voir tableau).
Au départ, tout leur fait défaut : les équipements collectifs, la stimulation, l'organisation scolaire, et aussi, quand les enfants néanmoins ont débuté, l'état d'esprit nécessaire. Tous ne deviendront pas des champions, et ceux qui les surveillent ou les poussent ont tendance à ne s'occuper que des sujets « intéressants ». Alors que la pratique du sport est encore plus importante pour ceux qui, précisément, ne sont pas particulièrement doués.
Appartiennent-ils à l'heureuse catégorie des adolescents dont les parents ont eu le temps, l'argent, l'obstination nécessaires, que se passe-t-il ? Le plus souvent, l'homme s'arrête quand il est pris par son activité professionnelle, la femme quand elle a des enfants.
Vient le moment où ils s'essoufflent, s'empâtent, en même temps que leur budget se desserre un peu et qu'ils décident de « s'y remettre ». Ils ont alors 35 ans, 40 ans, parfois davantage. Or : « Il ne faut jamais reprendre brutalement une activité physique abandonnée depuis des années, déclare le Dr Andrivet, sans avoir subi un examen médical complet, poumons et cœur au premier chef. Examen fait si possible par un médecin sportif, qui sera le mieux placé pour conseiller le choix de l'activité à reprendre ou à apprendre, et le rythme sur lequel on va pouvoir la pratiquer. »
Il n'est pas plus indiqué de se précipiter, muscles rouillés, dans le jardinage intensif ou le lessivage des murs de la catastrophique résidence secondaire, où l'on arrive le samedi et dont on repart le dimanche en inhalant de la benzine pendant 50 ou 100 kilomètres. De vrais drames frappent les personnes insuffisamment entraînées ou qui fournissent un gros effort « à froid ».
Selon les médecins de Zermatt, en Suisse, il se produit en moyenne un accident grave sur 5 000 descentes à ski. Muscles qui n'ont pas été réchauffés graduellement. Ou fatigue. Beaucoup d'accidents de ski se produisent en fin d'après-midi. Les jambes cassées se récoltent essentiellement le troisième et le onzième jour. Le troisième jour, on croit avoir recouvré la forme. Le onzième, on est grisé par ses progrès ou ses exploits.
Même chez un sujet entraîné, l'adaptation de l'organisme à un climat différent, à un changement de vie, devient de moins en moins rapide avec les années. Le seuil de la fatigue se déplace, même si le regard d'une femme que l'on voudrait éblouir, d'un enfant que l'on voudrait impressionner, ou d'un ami ironique, vous donne le supplément artificiel de force qui procure
alors l'illusion d'effacer la fatigue.
La jambe brisée ou l'infarctus du bon skieur ou du bon joueur de tennis quadragénaire qui veut dépasser son fils, ou le battre, est d'une désolante banalité. Si douloureuses que soient les blessures narcissiques, il vaut mieux ne pas y ajouter les blessures physiques. Et se souvenir qu'après 40 ans, en tous les cas, les vaisseaux sanguins ont perdu leur souplesse. Ils ne réagissent pas pour le mieux au grand soleil qui tape sur les courts de tennis, aux bains trop froids.

Tennis sans passion, nage à volonté

A tout âge, avant de « s'y remettre », la règle est simple :
1) faire vérifier le « moteur » ;
2) reprendre un entraînement progressif.
APRÈS 40 ANS, les médecins sportifs recommandent tous les sports « portés », c'est-à-dire tout sport où le corps n'est pas porté par les jambes. La natation est un sport porté, comme le cheval, l'aviron, la voile, sport qui procure peut-être la plus grande paix intérieure.
APRÈS 45 ANS, ils déconseillent le tennis en simple, et les sports joués.
APRÈS 50 ANS, tous les spécialistes en tombent d'accord : il faut abandonner football, rugby, pêche sous-marine, tennis en simple ou en compétition. On peut le pratiquer en double, mais sans passion. Se mettre au golf ou en poursuivre la pratique, sauf tendance au lumbago. Et nager indéfiniment.
Ils mettent en garde les chasseurs. La marche est bonne, mais les cardiaques ne doivent pas porter le fusil ; les rhumatisants et les bronchiteux doivent fuir les marais.
Ils recommandent :
— la marche à bon pas, en forêt ou à la campagne ;
— la bicyclette, qui est à tout âge, jusqu'à 90 ans, le meilleur des sports, parce qu'il est rythmé et que l'on peut adopter son mécanisme à sa circulation cardiovasculaire. Qui n'a pas les moyens de s'acheter une bicyclette ? La longévité particulièrement élevée des Hollandais, qui détiennent le record européen, et des Suédois, a peut-être d'autres causes : beaucoup l'attribuent cependant à l'usage courant que ces peuples font de la bicyclette.

TO check : vérifier. Checkup : opération fort répandue aux Etats-Unis, qui commence à être largement pratiquée en France sous le même nom ou sous d'autres : examens complets, bilans de santé, moins précis dans leur signification.
Le check-up a pris, dans l'esprit d'un certain nombre d'hommes et de femmes, l'aspect magique d'un horoscope. Comme d'un horoscope, on attend qu'il prédise le meilleur, annoncé par les moyens modernes d'investigation biologique, au lieu d'être lu dans les étoiles. Et qu'il restaure votre bonne humeur.
La vogue du check-up a fleuri au fur et à mesure que disparaissait le précieux médecin de famille.
Il n'a pas toutes les vertus qu'on lui accorde. On peut être frappé d'infarctus quelques heures après un électrocardiogramme normal. Et dans près de 60 % des cas, le diagnostic du cancer n'est pas posé lors du check-up. (Statistique de la Kaiser Foundation aux Etats-Unis.)
L'homme moderne « bien portant » est conduit au check-up, soit par la médecine préventive, soit sur la recommandation d'un médecin traitant auquel il se plaint de n'être « pas bien ». Le poussent aussi le besoin de « faire le point » à certains moments de sa vie, ou tout simplement le mélange d'anxiété et d'indignation que fait naître aujourd'hui la moindre « panne » dans notre moteur.
L'anxiété est un sujet en soi que nous traiterons dans un prochain article. Le check-up en est un autre. Il n'a pas le caractère « luxueux » qu'on lui prête souvent, puisque tout assuré social et les membres de sa famille ont droit à un examen complet et gratuit à intervalles réguliers, variables selon les âges de la vie, à condition que cet examen soit opéré par un centre de Sécurité sociale.

Où, quand, comment procède-t-on a un check-up ?

Le Dr Jean Micholet, médecin chef de la Prévention générale à la Caisse primaire centrale de la Région parisienne, est un adepte enthousiaste de la médecine préventive. Aussi l'encourage-t-il en lançant des invitations (620 000 cette année) aux assurés sociaux « bien portants », pour qu'ils viennent user de leur droit. Le bilan a lieu dans l'un des 106 centres de base ou des 2 centres mobiles où, entre 18 et 21 heures, quelque 400 médecins se tiennent à la disposition des amateurs. Menée depuis vingt-deux ans, cette expérience de la Sécurité sociale est unique au monde par son ampleur.
Pratiquement, la « visite » dure quarante minutes : interrogatoire, exploration clinique, prélèvements expédiés au laboratoire central de la rue Réaumur. Le médecin établit une fiche d'observation détaillée. Le laboratoire central est entièrement automatisé par le procédé américain Technicon, qui permet l'étude simultanée de 18 réactions.
Dès le lendemain de la visite, l'équipe du Centre réviseur reçoit et synthétise l'ensemble des investigations.
Si une anomalie apparaît, l'assuré est invité à se rendre dans un centre de spécialistes, en possession des informations déjà recueillies.
Leurs conclusions sont renvoyées au Centre réviseur. L'assuré en reçoit un compte rendu condensé. A lui de s'adresser alors, le cas échéant, à son médecin traitant, qui pourra disposer de l'ensemble des documents le concernant.
Sur 3 millions de personnes examinées depuis vingt-deux ans, 160 000 étaient atteintes d'affections qu'elles ne soupçonnaient pas, soit un peu plus de 5 %. Deux assurés sur cent sont encore porteurs de syphilis. La tuberculose pulmonaire n'apparaît que deux fois et demie sur mille.
Depuis sept ans, des circuits spéciaux ont été mis en place par le Dr Micholet, orientés vers le diagnostic précoce d'affections graves, mais guérissables quand elles sont décelées à temps. Par exemple : cancer du col de l'utérus chez la femme, du rectum chez l'homme.
Les femmes sont invitées, sur bristol bleu, à se soumettre à une consultation gynécologique également gratuite, qui complète le check-up. Une sur cent présente un début de cancer du col utérin. Traité à ce stade, sans opération mutilante, il n'y a pas un seul cas de rechute. Parmi les hommes orientés vers la rectographie sur des symptômes mineurs observés au cours de l'examen général, on décèle également un cas sur cent assurés.
Enfin, le Dr Micholet a mis au point un système de check-up à la française, axé vers les affections attribuées
au vieillissement de l'organisme et aux problèmes particuliers que pose l'âge dans une société donnée, la nôtre.
Cet examen est répété à deux ans d'intervalle à partir de 55 ans, de façon à déceler les tendances évolutives.
L'assuré est convié le matin, à jeun, pour subir une douzaine de réactions biochimiques. Un café lui est servi avant de passer une double radio pulmonaire, une radio des hanches et de la colonne cervicale, et un électrocardiogramme. L'interrogatoire médico-social est également plus poussé que dans les examens de base.
Quinze jours plus tard, l'assuré a rendez-vous avec un grand « patron » généraliste, qui tire les conclusions de l'ensemble de ces informations et d'un examen clinique d'une heure.

Combien coûte un check-up ?

Si tout cela est gratuit pour l'assuré, qu'en est-il pour la collectivité qui en supporte les frais ? Le Dr Micholet répond : « Le prix de revient des dix-huit réactions testées par le Technicon n'est que de 5 Francs. En ville, une simple recherche d'urée coûte 12 Francs, et c'est la moins chère des dix-huit. Les cancers de l'utérus dépistés et traités grâce à l'examen de santé de la Sécurité sociale coûtent vingt fois moins à la collectivité que ceux découverts par neuf gynécologues sur dix, parce que ce sont des découvertes tardives. »
Les adversaires de la médecine préventive répondent :
DR MICHEL SAPIR, animateur de la Société française de psychosomatique : « L'application du savoir à la prévention des maladies serait la ruine de toutes les économies nationales. Pour fouiller valablement un individu, il faudrait y passer un mois par an. Le check-up est une fumisterie. A force d'investigations, on crée des états de maladie. La multiplication des examens morcèle l'individu. C'est une des causes d'absentéisme qui coûte le plus cher. La médecine n'a de valeur que motivée. »
PR ANDRÉ BOURGUIGNON, chef du service psychiatrie médecine psychosomatique à l'hôpital Albert-Chenevier, de Créteil :
« La médecine se détourne d'une partie du réel en raison des progrès de la technologie et de l'exhibitionnisme de la science. Mais le réel, aujourd'hui, se venge. A force de sauver des diabétiques, on meurt plus du diabète qu'avant la découverte de l'insuline. On meurt plus vieux, c'est tout. Protéger la vie, ce n'est pas faire survivre à tout prix n'importe qui, n'importe quand. Une enquête américaine montre qu'on pourrait doubler ou réduire de moitié les dépenses de santé : ça ne changerait rien à l'état de santé de la population. L'Américain de 60 ans a moins d'espérance de vie que l'Indien parvenu au même âge. Simplement, il y en a plus qui y parviennent. »

Le bilan, orienté de prévention

L'I.b.o.c. (Service d'investigation biologique d'orientation clinique), que dirige le Dr Adolphe Suchet à la Fondation Rothschild, ne s'adresse pas aux individus, mais aux collectivités, auxquelles il propose une surveillance régulière et préventive de tout le personnel d'une entreprise.
Il ne s'agit pas de check-up complet, mais de la mise en place d'un système d'alerte qui permet de surveiller la nuisance des conditions de travail, de veiller à leur amélioration, de suivre l'état général de chaque employé, de déceler à temps les symptômes de risques essentiels.
Il n'en coûte que 30 Francs par personne. Cet examen peut être renouvelé tous les ans ou tous les deux ans.
La méthode est la suivante. Un matin, une infirmière se rend dans l'entreprise « sous contrat » avec l'I.b.o.c. En trois heures, elle effectue cent prélèvements de sang et d'urine. Un quart d'heure par personne, au maximum.
Trois jours plus tard, quinze réponses d'analyses biologiques par individu sont fournies. Un questionnaire en 78 points est remis à l'intéressé, relatifs à son alimentation, aux manifestations d'alerte cardiaque ou pulmonaire, aux rhumatismes, à l'équilibre nerveux, à l'alcoolisme et aux sept signes qui peuvent faire penser à l'éventualité d'un cancer.
L'ensemble des résultats est envoyé sous pli fermé au médecin du Travail, qui en remet copie à chaque intéressé, pour son médecin traitant, et qui lui communique un indice qui exprime l'état de santé du personnel dans son ensemble.
Un indice bas peut traduire des conditions générales de travail particulièrement défectueuses. Comités d'entreprise et médecin du Travail sont mieux armés pour intervenir.
L'I.b.o.c. a trouvé, par exemple, chez les ouvriers d'une blanchisserie chimique du XVe arrondissement, un indice plus de quatre fois inférieur à celui des employés d'une grande banque nationalisée.
La direction des entreprises est informée du nombre d' « indemnes » et de leur pourcentage, du nombre de « non-indemnes » et de leur pourcentage, de la fréquence des anomalies dans leur collectivité par rapport à la moyenne générale rencontrée en France. Elle ne reçoit, bien sûr, aucun renseignement d'ordre personnel.
Quelles sont les quinze réponses fondamentales que fournit l'examen ?
Celles qui correspondent aux quinze types d'affections détectables par l'investigation biologique et qui sont à l'origine de 94 % des risques de morbidité chronique et d'invalidité, et de 78 % des risques de mortalité.
Ce sont les examens de laboratoire fondamentaux sans lesquels aucun diagnostic ne peut être formulé. Mais au lieu que l'un se sente « fatigué », que l'autre se plaigne des reins, que le troisième souffre de migraines, qu'ils consultent le médecin, que celui-ci demande les analyses qui fonderont son diagnostic ou qui en appelleront de nouvelles, ces examens précèdent automatiquement et dans tous les cas l'intervention du médecin.
La formule de ce « bilan orienté de prévention » par entreprise présente des avantages psychologiques évidents. Elle tend à supprimer chez les anxieux le souci perpétuel de leur santé : ils savent qu'une fois par an ils seront sérieusement examinés. Elle n'exige aucun effort de la part des insouciants. Son prix de revient ne pèse pas sur l'ensemble de la collectivité nationale.
Portrait du candidat au check-up
L'homme, ou la femme, qui sollicite spontanément un check-up et qui est prêt à le payer parfois fort cher, qu'en attend-il ?
Les relations que nous entretenons avec notre corps — et avec nos médecins — sont loin d'être simples. L'homme satisfait de sa vie et qu'aucun malaise, aucun trouble ne tourmente, n'a aucune raison d'aller se faire « vérifier ». Et, d'ailleurs, c'est un fait qu'il n'y va pas.
L'homme qui sollicite un check-up est généralement en proie à une inquiétude vague, motivée ou pas physiquement, mais toujours motivée. L'un des reproches — justifiés ou non — que les adversaires de la médecine préventive font aux bilans « provoqués » ne semble donc pas, ici, fondé.
Le Dr Jean-Auguste Huet, pionnier français du check-up, dont les clients attendent parfois deux mois pour obtenir un rendez-vous à son cabinet, décrit ainsi son patient :
C'est rarement une patiente. Les femmes, soumises à plus de troubles mineurs spécifiques dès leur première jeunesse, sont par nature plus souvent en contact avec un médecin.
L'homme qui se présente a l'apparence de la santé. Et, physiquement, il ne souffre d'aucune maladie sérieuse. Mais il manifeste une inquiétude déterminée par un symptôme fonctionnel, ou une « gêne de vivre ». Il a l'impression que son activité est diminuée, comme s'il se sentait refréné dans son action dynamique. Ou bien c'est sa femme qui lui reproche de ronfler ou de la négliger de toutes les manières.
Se « bien porter » est une expression qui en dit long. On se porte. Le candidat au check-up ne se porte, littéralement, pas aussi bien qu'il en a l'air ou que pourrait l'attester un examen de médecine sociale. S'il vient, c'est qu'il en a besoin.
Le Dr Huet commence par observer son aspect morphologique : son abord, sa poignée de main, sa taille, son poids, sa carrure, sa posture, etc., en se gardant bien de le faire se déshabiller.
Puis il l'interroge : quels sont ses soucis ? Personnels, professionnels. Manifeste-t-il souvent de la nervosité ? Quels rapports entretient-il avec ses collègues, ses subordonnés, ses supérieurs, ses amis, sa famille ?
Le Dr Huet se fait fort de « dépouiller » les plus récalcitrants en moins d'une demi-heure.
Alors seulement il ausculte le patient cliniquement et lui parle incidemment de sa vie sexuelle. Intervient en dernier lieu l'examen biologique, la batterie des quinze réactions : sang, urine, fond d'œil, électrocardiogramme, électroencéphalogramme, etc. Toute la lyre.
Une fois muni de toutes ces informations, le Dr Huet prodigue ses conseils.
Il ne voit pratiquement que des « malades du genre de vie » ou des phobiques. Les amortisseurs ne jouent plus. Les agressions sonores, par exemple, deviennent intolérables.
La sensibilisation de chacun oriente, dès l'interrogatoire, les investigations cliniques : les fatigués du soir sont des surrénaux ; ceux du matin, des digestifs. La « panne de 11 heures du matin », ce coup de pompe qui dure une demi-heure à une heure, est plus fréquente chez les hépatiques et les hépato-sexuels. Elle se manifeste vers 23 heures chez les couche-tard.
« C'est mon cas, raconte le Dr Huet. Quand j'étais maire socialiste d'Asnières, mes adversaires communistes me faisaient voter n'importe quel texte entre 23 heures et minuit. J'étais en état de moindre vigilance. Ils le savaient. Alors je prolongeais la séance, parce que, ensuite, je reprenais mon deuxième souffle, et je faisais battre leur motion en seconde lecture. »
La vie étant ce qu'elle est, la fatigue psychique, nerveuse, morale étant à des degrés divers le lot de chacun, il faudrait au moins ne pas y ajouter ce que l'on peut s'épargner. Or la plupart des hommes qui se disent « fatigués », qui le sont, n'ont jamais exercé ou ont abandonné toute activité physique régulière. Ils croient se refaire une santé — ou une silhouette — par une fureur soudaine d'effort musculaire. Tennis, ski, euphorie factice du sauna : ils accumulent ainsi les fatigues, sinon les catastrophes.
Voir plus haut. Y ajoutent le sacro-saint week-end. « On prend l'autoroute, pare-chocs contre pare-chocs, avec sa femme ou sa petite amie, dit le Dr Huet, pour faire un bon gueuleton dans une auberge et forniquer à l'heure de la digestion, ou bien on veut épater les enfants en se livrant à des prouesses physiques, et on rentre en ville plus fatigué qu'en partant. »
Certes. Mais pourquoi le fait-on ?
— par esprit d'imitation ;
— plus grave, lorsque ces alibis masquent, en fait, la peur de vieillir, le refus d'assumer son âge, et simplement la condition humaine.
Les maladies que l'homme ou la femme sont capables de « fabriquer », et dont ils souffrent effectivement, et qui lèsent effectivement leurs organes, pour esquiver leur vérité, quelle qu'elle soit, sont innombrables. Selon le Pr Paul Milliez, 50 % des malades sont des psychosomatiques. Pour de nombreux psychanalystes, les maladies ont presque toutes une source psychique. Et celle qui se déclare, le « point faible » qui, physiquement, cède, précisément celui-là plutôt qu'un autre, traduisent nos mouvements psychiques.
Le langage populaire n'a d'ailleurs pas attendu Freud pour établir inconsciemment une liaison bien nette entre le corps et l'esprit. Il est remarquable que nous disions :
« Ça m'est resté sur l'estomac... »
« Je l'ai en travers de la gorge... »
« J'en ai plein le dos... »
« Je ne peux pas le sentir... »
« Ça me casse les pieds »
« Je ne peux pas l'avaler... »
« Je l'ai dans le nez... »
« Je ne marche plus... »
Et quoi d'étonnant, quand « on ne marche plus », d'avoir mal aux jambes ; quand « on ne peut pas l'avaler », d'avoir mal à la gorge ? Quand on se sent coupable d'être « coureur », de souffrir des genoux ?

En résumé :
- Le check-up est la photo d'un moment de la vie.
- Un fort courant se dessine contre le check-up « provoqué ». Selon ses adversaires, autant il est souhaitable qu'un homme ou une femme consulte immédiatement un médecin quand il en ressent le besoin, fût-ce pour se rassurer, autant il l'est peu que ce besoin soit artificiellement créé.
- Les indications qu'il donne ne sont pas négligeables, tant par ce qu'elles peuvent détecter que par ce qu'elles apprennent au médecin, donc au patient, des erreurs dans le mode de vie.
- Ces erreurs relèvent parfois d'habitudes auxquelles on peut facilement renoncer quand on en a pris conscience, d'une pression des mœurs, des modes, à laquelle on peut se soustraire. Il suffit parfois que l'on dise à un homme, à une femme : « C'est normal d'être moins résistant, moins rapide, moins ceci, moins cela, en avançant dans la vie. C'est normal de vieillir et c'est normal de mourir un jour. C'est le contraire qui est anormal », pour qu'il l'admette. Cesse de « refuser la vie » et, du même coup, vive mieux.

Mardi, octobre 29, 2013
L’Express