Une plume tenue d'une main de fer

Autobiographie d'Edouard Balladur « Deux ans à Matignon », raconte son expérience du pouvoir.
« Les Français roulaient tourner la page. J'étais dans la page » écrit l'ancien premier ministre.

M. Balladur est comme tout le monde. Il voudrait qu'on l'aimât. Il le fut, avant qu'il n'entre, mystérieusement, en désamour. Plus dure fut la chute. Depuis Edouard Balladur cherche avec humilité les motifs de son échec, et n'en esquive pas la responsabilité. Mieux : il l'assume, car c'est un homme fier, le mot revient souvent sous sa plume. Fier. Que l'on ne compte pas sur lui pour accabler autrui. Aucune attaque, contre personne, quelques mots froids, c'est tout. Avec Chirac, une précision : Il n'y a jamais eu de pacte entre eux mais plusieurs conversations où Chirac lui a répété : « Nous verrons bien lequel de nous deux sera le mieux placé le moment venu. » Résumé de leurs relations : « Longtemps elles furent étroites, confiantes, sans nuage. Les choses se sont abîmées à partir de 1988. (...) J'étais au pouvoir. Je voulais réussir. Il s'en inquiétait craignant de voir surgir un rival : il ne l'a pas supporté. Moi je n'ai pas supporté les obstacles mis devant mon action. » Le ton reste feutré.
Si Edouard Balladur écrit, aujourd'hui, Deux ans à Matignon, c'est pour tenter de comprendre ce qui lui est arrivé, comment, du pire des sondage on tombe dans l'enfer de l'Impopularité alors que, pendant deux ans, on a bien œuvré avec des résultats substantiels, juge-t-il.
Sur ce point, il est abondant. Son bilan qu'il détaille minutieusement était bon lorsque la campagne présidentielle a commencé et s'estime en droit d'en être satisfait. « Que l'on énumère la liste de toutes les réformes mises en œuvre ou entreprises : il n'y en a pas de plus importante ni de plus dense accomplie en si peu de temps. » Et la croissance qui a repris, et le chômage qui a décru et le franc qui s'est maintenu et le Gatt... Mais alors pourquoi ? Pourquoi cette désaffection qui l'a frappé ? Parce qu'il a été dépeint comme un homme tiède, paralysé dans l'action par sa quête du consentement général.

Il a assez souvent exprimé l'idée qu'il se fait de la réforme pour qu'on n'y revienne pas ici. Reste qu'on l'a figé dans l'image d'un immobiliste sans caractère. Ce qui, manifestement, le blesse profondément... Aussi bien, l'intérêt de son livre ne réside pas dans son aspect « compte-rendu de mandat » mais dans ce qui transparaît de l'homme, fugitivement, une petite phrase par-ci, une petite phrase par-là et qui force la sympathie tant la suffisance en est absente.
Il a cette jolie formule : « Les Français voulaient tourner la page. J'étais dans la page. »
Qu'est-ce qui a détérioré sa physionomie qui parut si longtemps intangible ? Il énumère les accrocs, l'affaire du CIP qui lui a aliéné la jeunesse, la fâcheuse histoire des écoutes téléphoniques... Mais qu'était-ce en face d'une action d'autre part fructueuse ? Edouard Balladur explore sa conscience : elle lui dit qu'il n'a rien de sérieux à se reprocher. Et la question reste ouverte : pourquoi a-t-il échoué sur l'obstacle ? il n'a pas su faire rêver et d'une certaine façon, il s'en flatte. Ce n'est pas l'idée qu'il se fait de la politique. Mais est-il un homme politique ? Il se pose la question. En tout cas, « Il faut gagner sans avoir ensuite à se désavouer soi-même ».
La partie la plus intéressante du livre concerne ses relations avec François Mitterrand. Il est clairement fasciné par le personnage, dont il trace quelques brillants petits portraits. La cohabitation fut parfois délicate, toujours courtoise. Là aussi, Edouard Balladur n'oublia jamais d'être « fier » et s'en trouva bien.
Quelques paroles aimables émalllent le livre, pour Simone Veil « courageuse », pour Nicolas Sarkozy, pour Nicolas Bazire son directeur de cabinet. On n'en repère que mieux ceux qui ne sont pas cités.
L'homme qui a écrit ce livre est meurtri, et le confesse furtivement. Mais il tient sa plume d'une main de fer pour lui interdire tout écart qui ne serait pas convenable. Edouard Balladur est un homme convenable.

Mardi, octobre 29, 2013
Le Figaro