Une campagne suspecte

une certaine tenue
C'est un fait : la télévision est un phénomène majeur par la place qu'elle occupe dans la vie de la société, les conduites qu'elle génère, l'environnement qu'elle crée, mélange de publicité, d'information en miettes, d'images biaisées, de violence. On peut en disserter indéfiniment mais on ne peut pas l'abolir. Elle est. Il faut faire avec. Or, contrairement à une idée reçue, la télévision française est loin d'être globalement détestable même si certains de ses aspects le sont. Il y a chaque semaine sur les chaînes publiques au moins quatre émissions de bonne facture, souvent davantage; dans la journée il y a la Cinquième, qui ne cesse de progresser; il y a Arte... Alors pourquoi cette hargne contre le service public, que certainsne songent qu'à décapiter en privatisant la 2? Pour en faire une seconde Une? Merci bien. Une seule nous suffit. Disons clairement quela campagne en coursest suspecte. Autre chose est de s'interroger sur les conditions de fonctionnement de France2, dont le conflit Elkabbach-Delarue n'est qu'un exemple. Que des animateurs perçoivent des bénéfices faramineux, à peine imposés, frise le scandale. Rien n'interdit de le faire cesser. On me dit : «Tous les profiteurs de la télé-fric se précipiteraient sur la Une...» Eh bien, qu'il y aillent, si on est prêt à les accueillir, et qu'ils y restent. Des vedettes, cela se fabrique comme cela s'use. A la 2 de fabriquer les siennes et de les rétribuer à mesure de leur audience, non de leurs prétentions. «Et la publicité, la publicité, gémit Elkabbach, je perdrais la publicité!» Sans doute en perdrait-il aux heures chaudes. Cela fait partie de l'équation à résoudre pour France2. Je ne dis pas qu'elle est simple. Mais ce n'est sûrement pas en bradant la chaîne à des propriétaires privés que l'on sauvera ce qui peut être sauvé de la télévision française : une certaine tenue. «La Marche du siècle» nous a entraînés dans un univers effarant, celui où, aux Etats-Unis, on commande son bébé sur catalogue. Plus de 300 centres se chargent de l'opération. Comment le voulez-vous? Blond? Brun? Fille? Garçon? Prédisposé à la musique? Aux études universitaires? Peau blanche? Peau noire? Les yeux, de quelle couleur, les yeux? Nous avons le sperme qu'il vous faut. Passez la monnaie. Rien de tel ne se pratique encore en France. Pour le moment. Toujours aux Etats-Unis, «Envoyé spécial» a découvert une drôle de tribu qui s'est baptisée «les teneurs de promesses». De quelles promesses s'agit-il? Devenir un disciple du Christ, tel est le commandement. Qui trouverait à y redire? Naturellement, c'est très difficile. Il faut d'abord devenir un homme, et la plupart ne le sont pas vraiment, faute d'avoir eu eux-mêmes un père. C'est le lamento général. Ces paumés, qui sont un million, n'ont aucune acrimonie envers leurs femmes. Ils se reprochent même de ne pas assez apprécier ce qu'elles leur donnent. «Tenez vos promesses, dit l'un, pour qu'elle vous respecte. Si elle ne vous respecte plus, elle ne vous obéira plus.» Aïe! Cet «obéira» gâchait un peu le tableau. Aux petites heures de la nuit, FR3 a diffusé un reportage assez piquant de Jean-Paul Andrieu sur la dernière campagne électorale vue à travers «le Monde». Vie interne du journal, discussions, désaccords : jusque-là rien de très original, jusqu'au moment où apparaît le rapport de forces avec Jacques Chirac. Il n'aime pas «le Monde» mais il ne peut pas le boycotter. Donc il finit par le recevoir, tout raide. Il cherche à marchander sur le titre. C'était franchement drôle. Quelques petites scènes avaient également de la saveur, au moins pour les gens de presse. «Arrêt sur images» a centré son émission sur Alain Carignon et les relations de l'ancien maire de Grenoble avec son image. C'était, comme toujours, intelligent et éloquent. Alain Carignon est manifestement meurtri. Obsédé par sa longue incarcération, il ressasse. Or, ce n'est pas du tout sur cela que Daniel Schneidermann entendait le faire réagir... Devant cet homme à vif, on était à la limite du malaise, quoi qu'il ait fait. A «Polémiques», M. Jean Arthuis, ministre des Finances, a annoncé la baisse des impôts pour un jour ou l'autre. Plutôt l'autre. Il était affligeant, le pauvre. Le charisme, ce n'est pas son truc. F. G.

Jeudi, mai 16, 1996
Le Nouvel Observateur