Un sillage de tendresse

Aimer les malheureux et en être aimée en retour, ce fut sa grande affaire. Elle y mit tout son cœur, outre un savoir-faire peu commun, une simplicité, une spontanéité...
Quatre semaines sevrée de télévision, on en sortait la tête nettoyée, lorsque soudain, au creux d'une matinée molle, la tragédie a fait irruption sur les ondes. La nouvelle fatale tomba : Diana, princesse de Galles, était morte. Une Mercedes lancée à vive allure dans un tunnel de l'Alma, un choc contre un pilier, la voiture fracassée, la princesse tuée avec son compagnon égyptien et le chauffeur du véhicule... l'horreur. D'abord ce fut la stupeur. Puis l'émotion. Enfin, l'agitation des grands jours, les éditions spéciales succédant aux éditions spéciales, les programmes bousculés, la télévision était à son affaire. Elle adore les morts. A proportion de leur célébrité. Et là il s'agissait d'une jeune femme immensément populaire que la foule portait depuis des années dans son cœur. Pourquoi? Allez savoir. Parce qu'elle avait une grâce lumineuse, parce qu'elle était près des gens, parce qu'elle apparaissait comme la victime du système de fer de la monarchie britannique et qu'elle avait osé, la rebelle, se dresser contre lui, le défier, l'encombrer au lieu de s'y plier. Et après combien d'épreuves... En fait, Diana fut une héroïne de tragédie depuis le premier jour où elle apparut sous son voile blanc de mariée. Enfant malheureuse d'un couple divorcé, épouse non aimée d'un prince qui lui préférait le polo, flanquée d'une rivale avant même d'être mariée, malade d'être tenue selon ses propres termes «pour une gourde», au point d'en devenir boulimique pendant trois ans et de tenter à cinq reprises de se suicider, trahie par ses amants de passage qui n'avaient rien de plus pressé que de lui consacrer un livre, persécutée et au-delà par la presse... une pauvre chose vraiment. «J'ai été le seul membre de la famille royale qui ait pleuré en public», dit-elle ? jusqu'à ce qu'elle trouve dans l'action humanitaire une raison d'être qui la réconcilie avec elle-même. Aimer les malheureux et en être aimée en retour devint sa grande affaire. Elle y mit tout son cœur, gros comme une maison, outre un savoir-faire peu commun, une simplicité, une spontanéité... L'étonnant est de voir comment les femmes se sont identifiées à Diana à travers ses vicissitudes conjugales au lieu de lui en faire grief, comment chacune s'est reconnue d'abord dans la princesse de conte de fées, puis en l'épouse bafouée, en la mère meurtrie, en la jeune femme malade d'humiliation, enfin en la rebelle réussissant à s'affirmer. Ces choses-là ne s'expliquent pas, elles se constatent. Elles ont fait de Diana la femme la plus célèbre du monde laissant derrière elle un sillage de tendresse. On se disait : «Pourvu que maintenant elle soit heureuse sur le yacht de son Egyptien... Elle l'a bien mérité, la pauvre petite...» Mais le bonheur n'était pas inscrit dans son destin. C'est la mort qui l'attendait à 36 ans, sous un tunnel, dans une Mercedes fracassée. Cette fin romantique sied à son personnage. L'émotion est aujourd'hui universelle. Les plus coriaces ont ressenti un petit pincement au cœur en apprenant que la jeune femme si gracieuse avait quitté la scène où elle avait joué un si grand rôle depuis quinze ans avec ses falbalas. Quelle est la responsabilité des paparazzi dans cet horrible accident? L'enquête le dira. Déjà la foule gronde. Elle insulte les journalistes, les tient pour coupables. Ils sont implacables, il est vrai. Ils peuvent être ignobles. Mais le paparazzo n'existerait pas s'il n'avait des clients pour acheter à prix d'or le produit de son pillage, s'il n'existait une presse pour le publier, un public pour se jeter dessus. Tout cela est ambigu comme la relation des célébrités avec la presse. Elles la cajolent jusqu'au jour où elles croient n'en avoir plus besoin. Alors, soudain, elles s'offensent d'être pourchassées. Lady Di a aimé être l'objet du désir fou des photographes avant de trouver leur pression insupportable. En un sens, c'est eux qui l'ont faite avant de la tuer. Reste que la presse française est, dans son ensemble, indemne des excès dont se délecte la presse britannique, bien que nous commencions à être contaminés, et que tout ce qui sera fait pour nous en préserver sera bienvenu. A la mémoire de Lady Di, tendre victime de la presse de caniveau. Et de ses lecteurs. F. G.

Jeudi, septembre 4, 1997
Le Nouvel Observateur