Souvenirs - Georges Hourdin en liberté

Critique littéraire du récit de vie d'un directeur de presse catholique
Le journaliste et l'homme : la vie d'un démocrate-chrétien devenu un chrétien démocrate.
« Qui êtes-vous ?
— Je suis un vieil homme », répond Georges Hourdin à la première question que lui pose Claude Glayman.
Suivent trois cent quatre-vingt-dix pages en forme de dialogue, où éclatent la jeunesse d'esprit et l'ardeur de vivre, le goût intense des êtres et des choses, l'amour du bonheur.
« Dieu en liberté » n'est pas le livre que l'on redoute — ou que l'on attend, c'est selon — du directeur d'un groupe de presse catholique âgé aujourd'hui de 74 ans. Le moralisme d'hier en est absent. Celui d'aujourd'hui n'y est pas pesant.
A l'automne d'une vie qui a fait de lui un chrétien démocrate après avoir été un démocrate-chrétien — et il y a là plus qu'une nuance — Georges Hourdin se souvient. Et c'est un demi-siècle de militantisme catholique, exercé essentiellement à travers le journalisme, mais aussi dans les instances dirigeantes du Parti démocrate populaire puis du M.r.p., qui défile, riche de portraits, d'anecdotes et de remarques brèves, qui ne sont pas toujours tendres.
Un concile. Sa trajectoire commence dans un collège religieux de Nantes où on lui enseigne un Dieu « abstrait, gendarme pudibond et sadique ». Sa mère est royaliste, son professeur de philo donne le sommaire d'un cours en ces termes : « Monarchie : avantages certains, inconvénients possibles. Démocratie : avantages possibles, inconvénients certains. Vous conclurez vous-mêmes. »
En lisant aujourd'hui sous la plume de Georges Hourdin :
« En un certain sens, la grandeur de la France, je m'en f... » en même temps que l'éloge de Rosa Luxemburg, on mesure l'ampleur de cette trajectoire.
Le lecteur la suivra avec un intérêt d'autant plus vif que Georges Hourdin n'est pas un catholique marginal mais un homme parfaitement intégré, doué d'un « sens très aigu du possible » et qui s'adresse chaque semaine à des centaines de milliers de foyers avec la bénédiction de Rome.
Sa démarche, qui l'a mis parfois d'un pas en avant, mais non de deux, est donc celle d'une partie au moins des catholiques français, depuis que Jean XXIII a « ouvert la fenêtre » et que Paul VI ne l'a pas refermée. Prodigieuse renaissance de l'Eglise, dit-il, qui aura été la seule institution capable de se réformer.
De cette Eglise, il a une connaissance intime. De la politique dans l'Eglise et de l'Eglise dans la politique. Il en parle comme on parle de sa patrie, capitale le Vatican, avec ses fonctionnaires, sa police idéologique, ses factions et ses princes. A lire ce qu'il écrit de la crise des prêtres ouvriers, en 1953, des interdits qui frappèrent les dominicains au moment de la guerre d'Espagne, ou de la façon dont Jean XXIII annonça un matin aux cardinaux de la curie : « J'ai une bonne nouvelle à vous annoncer. Le Saint-Esprit m'a visité. Nous allons réunir un concile » ; à lire ce qu'il rapporte de ses propres relations avec le Vatican, qui ont été constantes, on a parfois l'impression que, pour lui, l'Histoire, c'est cette histoire-là.
C'est un aspect de son livre. L'autre, plus personnel, montre un homme durement frappé par le malheur, et qui s'interroge sur cette liberté que prend Dieu avec les siens.
Un supplément. A 17 ans, au moment de s'élancer dans la vie, il fait une chute qui le rend sujet à des crises épileptiques. Et, en ce temps, on ne savait pas encore évincer le haut mal.
Il réussit, dans tous les domaines, un rétablissement.
A 43 ans, marié depuis onze ans à une femme belle et bonne, heureux comme on n'est pas heureux si longtemps, il perd sa fille aînée, tuée dans le bombardement de Billancourt. Cette enfant, qu'ils pleurent doucement, les Hourdin décident de la remplacer. Et, à cet acte de confiance dans la vie, Dieu prend la liberté de répondre en leur donnant une fille mongolienne.
Les pages qu'il consacre à Marie-Anne, débile mentale, sont très belles, parce qu'elles sont rudes. Il ne dissimule pas, il ne sublime pas, il dit : « C'est difficile à supporter. » Et aussi, quand on lui demande si la foi l'a aidé : « Oui. Toutefois, il serait malhonnête de dire que, pour ce qui est des choses humaines, la foi apporte un supplément. »
Ceux qui connaissent Georges Hourdin, la chaleur de son amitié et la spontanéité de sa fraternité, le retrouveront tout entier dans ce livre foisonnant.
Les autres y trouveront le témoignage d'une foi vivante et ouverte en un Dieu d'amour. Si de telles certitudes pouvaient se communiquer, il y parviendrait.

Mardi, octobre 29, 2013
L’Express