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En décrivant l'engrenage qui a conduit une paisible mère de famille à être poursuivie à travers la France et une fois mise en prison, son fils aîné à se suicider, FG dénonce une justice « impitoyable aux humbles, conçue en 1804, pour protéger la propriété
L'instituteur? Pas plus méchant qu'un autre. Mais il l'a constaté avec un ricanement : Thierry Huriez était le seul, dans la classe, qui ne portait pas le tablier bleu réglementaire le jour de la rentrée. Evidemment, puisque Thierry Huriez, 15 ans, était le fils de la voleuse. Et que la voleuse avait été arrêtée le 25 septembre.
Pour la retrouver, un avis de recherche avait été affiché dans toutes les mairies de France. C'est ainsi qu'à Saint-Michel deux gendarmes sont venus frapper au carreau fendu, barré de papier collant, de la baraque où vivait Mme Yvonne Huriez, huit enfants, enceinte du neuvième. Deux gendarmes pas plus méchants que d'autres. Mais quoi, quand un gendarme tient une voleuse...
Qu'avait-elle donc volé, Mme Huriez ? En fait, rien. Avec une négligence coupable, certes, elle a laissé impayée une dette de 78 Francs envers une entreprise de location de téléviseurs.
Il y a des situations, il y a des mois où 78 Francs, c'est une somme. Elle ne l'avait pas. L'entreprise l'a poursuivie. Une entreprise pas plus méchante qu'une autre. Mais où irait-on si l'on ne poursuivait pas les mauvais payeurs...
Mme Huriez habitait alors Joinyille-le-Pont. Convoquée devant la 12e Chambre correctionnelle de Paris, elle ne s'est pas présentée. Qui a jamais compris, sans le secours d'un avocat, le texte d'une assignation ? Le tribunal l'a condamnée par défaut à quatre mois de prison pour « abus de confiance ». Un tribunal pas plus méchant qu'un autre. Cela se passait en octobre 1969. Comment, trois ans après, elle s'est retrouvée en prison à Amiens, parce que, entretemps, elle a déménagé, ce sont les beautés de la machine judiciaire, impitoyable aux humbles, conçue en 1804 pour protéger la propriété.
Eh prison, elle y serait encore, tous enfants abandonnés, si l'aîné, Thierry, n'en était mort de honte. Il a tenu un mois, et puis s'est suicidé. Il était le fils de la voleuse. Il n'avait pas le tablier bleu réglementaire. Il n'y a eu personne pour le lui donner. Pour interdire que l'on se moque.
Saint-Michel, dans l'Aisne, est un village français de 4 342 habitants. Ils ne sont pas plus méchants que d'autres. Le maire, socialiste, préside un conseil municipal socialiste.
Mme Huriez n'a pas accepté leurs condoléances.

Mardi, octobre 29, 2013
L’Express