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FG retrace les événements qui ont précédé l'engagement des Etats-Unis dans la guerre du Viet-nam.
Que sont-ils donc allés faire, en Indochine, les Américains ?
A l'origine, une lettre. Une simple lettre. Ecrite en 1954. Cette année-là, le gouvernement français — MM. Laniel, Bidault, Pleven — demande aux Etats-Unis des bombardiers atomiques pour mettre « les Viets » à la raison.
Eisenhower, président des Etats-Unis, dit non. Non. Contre l'avis de l'amiral Radford, contre l'avis de son vice-président Richard Nixon, et bien qu'il soit persuadé — il le dit à Churchill, sceptique — que « si l'Indochine passe entre les mains des communistes, les conséquences ultimes en seront probablement désastreuses ».
Dien Bien Phu. Négociations de Genève entre Pierre Mendès France, Chou Enlai, Molotov, Pham Van Dong, Anthony Eden. Il y a, désormais, deux Vietnams, l'un communiste, l'autre pas. Les accords — qui ne portent pas la signature des Américains — prévoient des élections deux ans plus tard, en 1956. Mais Eisenhower, le seul général au monde qui déteste la guerre, est un moraliste. Il écrit personnellement au Premier ministre du Sud-Vietnam, Diem, que l'Amérique « l'aidera à développer et à maintenir un Etat fort et viable, capable de résister aux tentatives de subversion ou d'agression par des moyens militaires ». Engagement pris, ajoute-t-il, pour « décourager tous ceux qui seraient tentés d'imposer une idéologie étrangère à votre peuple libre ».
L'idéologie est-elle aussi étrangère et le peuple aussi libre qu'il le croit ?... N'y a-t-il pas candeur à imaginer que la démocratie peut s'acclimater ailleurs que dans un pays développé ?
L'analyse concrète d'une situation concrète eût, de surcroît, révélé au général pacifique que la division du monde entre le Bien — les non-communistes — et le Mal — un bloc communiste homogène U.R.S.S.-Chine-Vietnam — était artificielle et que, bientôt, elle cesserait d'être aussi simple. Mais cette analyse, personne ne la fait.
Deux ans après, Diem annule les élections prévues à Genève. Comment la morale d'Eisenhower s'en est-elle arrangée ? La guérilla s'engage. Aucun président des Etats-Unis ne va plus oser défaire ce qu'un président des Etats-Unis a fait.
Quand John Kennedy arrive à la Maison-Blanche, en 1961, il y a 2 000 Américains au Vietnam. En 1963, il y en a 16 000. En août, après la répression des bouddhistes qui va entraîner la chute et le suicide de Diem, une réunion est organisée à la Maison-Blanche. Le secrétaire d'Etat Dean Rusk, ouvrant la séance, insiste pour que « priorité soit donnée à la question cruciale posée au cours des treize dernières heures : comment en sommes-nous arrivés là ? Et où allons-nous ? »
C'était il y a neuf ans, A se remémorer le film de l'engagement américain dans cette tragédie, on mesure avec terreur la sanglante frivolité de l'Histoire.

Mardi, octobre 29, 2013
L’Express