Rendez-nous Léon!

Ils s'étaient mis à trois pour remplacer Zitrone...Mais leur commentaire de ce voyage de Chirac en Angleterre était plat comme un dépliant touristique!
Il y avait les buissons de bonnets à poil, il y avait les carrosses, il y avait les Rolls, il y avait des chapeaux, il y avait des altesses royales... Que manquait-il donc à ce voyage en Grande-Bretagne pour que le plaisir du spectateur soit complet? Il manquait Léon. Léon Zitrone. La voix de violoncelle, le vibrato bien placé, cette façon de susurrer les informations comme des confidences, à la fois familier des princes et ébloui par leur majesté... Ah! Léon! Ils s'étaient mis à trois pour le remplacer. Trio sinistre et plat comme un dépliant touristique. Il y eut tout de même un bon moment : celui où l'on vit Jacques Chirac lancer des baisers à deux mains, comme les enfants, à la foule en liesse. Vous imaginez de Gaulle lançant des baisers? Ou même Mitterrand? Eh bien, Chirac l'a fait. Et c'était, pour finir, très gentil. Il est désormais tout à fait à l'aise dans son personnage. Nimbé par cette lumière invisible qui lustre les détenteurs des hautes fonctions, il va, battant décontracté. Il va où? Pour faire quoi? C'est toute la question. A-t-il du pouvoir sur les choses ou bien le pouvoir n'a-t-il plus de pouvoir? Tout de même : tant d'énergie doit servir à d'autres fins qu'à voyager à l'étranger pendant que son Premier ministre dérape sur la «graisse» des fonctionnaires. Les troupes s'impatientent, Monsieur le Président, les troupes s'impatientent... Parce que la SNCF leur accorde désormais les tarifs réduits pour ceux qui vont par couple, les homosexuels sont soudain sous les projecteurs. Jean-Marie Cavada leur a consacré une longue «Marche du siècle» assez riche, d'où il ressortait que le désaveu ou le rejet des parents est, pour les plus jeunes en tout cas, la principale source de souffrance. Un père parla admirablement de la façon dont il avait su réagir et comprendre son garçon. Mais il y eut bien d'autres cas, celui de la femme mariée à un homosexuel clandestin, qui a vécu des années dans le non-dit : «Je l'aimais, et il m'aimait aussi.» Il y eut cette lesbienne heureuse de l'être, qui sut parler d'elle-même avec humour. Beaucoup de bonnes choses furent dites propres à dédiaboliser l'homosexualité. Une émission salubre. Garbo a su se cacher à temps, Marilyn Monroe a fui dans le suicide, nous ne saurons jamais ce qu'elles seraient devenues vieilles et aigres. Brigitte Bardot, elle, demeure et tient des propos affligeants. Elle achève ainsi de gâcher une image que l'on aurait voulu conserver radieuse, telle qu'elle fut dans ses jeunes années. Telle qu'elle est apparue dans le documentaire à elle consacré qui voulait nous expliquer qu'elle avait fait une révolution par sa liberté d'allure. C'était un peu tiré par les cheveux mais pas complètement faux. Peu importait le texte, d'ailleurs. Il y avait ce déluge d'images plus belles l'une que l'autre, cette joyeuse certitude où elle était de sa beauté, cette grâce innocente. Elle ne devrait pas avoir le droit de nous gâcher son souvenir. Raymond Roussel est inconnu mais il a ses fanatiques. Cet écrivain original, mort en 1933, errant entre le réel et l'imaginaire, assuré de mériter sa gloire, n'obtint de son vivant qu'une maigre audience. Il faut dire que son premier livre est rédigé en alexandrins. Ça n'aide pas. Richissime, il mit aussi son excentricité dans sa vie, se nourrissant d'un seul repas par jour composé de vingt-cinq plats. Trois Rolls faisaient chaque jour l'aller et le retour avec le Midi pour lui rapporter des fruits frais. Il eut ses admirateurs, il en a encore. Si on a envie de le découvrir, on peut lire «Locus Solus» par exemple. C'est au moins une curiosité («Un siècle d'écrivains»). A une heure du matin sur le canal de Paris Première, on ne s'attend pas à tomber sur Pierre Bourdieu. Que faisait-il là, planté derrière sa table? Une conférence. Sur la télévision, fléau des temps modernes. Télévision souveraine qui a, selon lui, propagé ses maux dans toute la société, étendu son pouvoir à tous les secteurs, et qui pervertit la démocratie. L'analyse était intéressante. Il n'est pas certain que le moyen de la transmettre, ce long monologue rempli de digressions, ait été le meilleur. Pour fustiger la télévision, il n'est pas inutile de savoir s'en servir. F. G.

Jeudi, mai 23, 1996
Le Nouvel Observateur