Quoi de neuf? Freud

Un document étourdissant, en deux volets, sur un homme ambitieux, d'une intelligenceextraordinaire, qui voulait changer le monde et qui, en un sens, y est arrivé...
Les enfants l'adoraient. Avec sa grosse voix et ses colères c'était les Guignols avant la lettre, quel pitre ce Marchais... Un pan de l'histoire de la télévision disparaît avec lui, outre l'incarnation du communisme à la française commandé de Moscou. Et il faudrait lui rendre hommage? Seuls les vivants respectables font des morts respectables. Antistalinien précoce, Michel Rocard a enterré Marchais, à «Public», d'un «le communisme n'a plus de sens» , qui le renvoyait aux enfers où il doit être en train de griller. Et puis Michel Field l'interrogea sur ses propres échecs, et il se rebiffa en souriant : «Je suis très fier de ma vie politique.» Et maintenant?«Le métier que je fais est un métier d'influence.» Il était, comme toujours, très intelligent, et clair comme jamais, si bien que Michel Field put lui dire : «Vous n'avez pas parlé Rocard jusqu'à présent, continuez...» , ce qui était drôle et pas méchant. Bien interrogé, il a eu de bonnes réponses. Furtivement, au coin des phrases, est apparu ce qu'il a enduré sous Mitterrand. Il n'a même pas eu le droit de choisir ses ministres... A ne pas croire. Il n'y a aucune différence de nature entre CNN et LCI. Entre le monstre américain reçu dans 210 pays, potentiellement regardé dans 170 millions de foyers, et la modeste chaîne française d'information continue. Il n'y a qu'une différence de dimensions... et d'ambition. Mais ce qui nourrit la bête, c'est la même chose, l'événement, son spectacle et les réactions immédiates sur le spectacle, le vertige du direct permanent. La télévision d'information, quoi! Qui n'a pas pour objet de débusquer la vérité mais d'en fournir une sur-le-champ, comestible par tous. On y pensait en voyant le documentaire de Frédéric Laffont sur CNN. Laffont a passé un an dans les entrailles de la chaîne. Son travail est superbe. Il n'y manque pas un bouton de guêtre quand apparaît Ted Turner, celui qui a créé CNN, milliardaire en dollars, le cœur sur la main, Jane Fonda sur l'oreiller. Que dit-il?: «Depuis la création de CNN, nous avons joué un rôle positif : la guerre froide a cessé, les conflits en Amérique latine ont pris fin, c'est la paix en Afrique du Sud, etc. Grâce à CNN, l'info circule dans le monde entier. Or les gens puissants voient bien que c'est stupide de faire la guerre. Et personne ne veut paraître stupide. Donc ils font la paix parce que c'est plus intelligent.» Elémentaire mon cher Watson. Et il a ajouté: «En quelques semaines, on peut changer le monde...» Tout cela était dit sérieusement par l'un des hommes les plus puissants de la planète. A croire qu'il y a vraiment quelque chose de consubstantiel à la télévision qui prive de sens commun ceux qui l'épousent. Qu'elles sont émouvantes, ces images de Freud âgé, dans son jardin, racontant : «J'ai débuté ma vie professionnelle en tant que neurologue. J'ai essayé de soulager mes patients névrosés. J'ai découvert des faits nouveaux et importants sur l'inconscient. De ces découvertes est née une nouvelle science, la psychanalyse. La résistance a été forte et implacable. Mais pour finir, j'ai réussi.» Le document tout entier sur «l'invention de la psychanalyse» est un vrai roman mis en images par Elisabeth Kapnist sur un texte d'Elisabeth Roudinesco, un roman sans jargon, qui déroule les grandes étapes de «l'invention». Les observations sur les hystériques soignées par Charcot à la Salpêtrière ? on croit alors que l'hystérie est une maladie de l'utérus ? la découverte par Freud du lien entre l'hystérie et la sexualité, ses premières patientes. Il est ambitieux, d'une intelligence extraordinaire. Il rêve de changer le monde lui aussi. Et en un sens, il va y arriver. Théories sur la bisexualité, la séduction, la libido, le complexe d'?dipe... Bourgeois, il rejette le surréalisme comme une aberration. Révolutionnaire, il écrit que l'homosexualité n'est ni un crime, ni un péché, ni une maladie, il veut que son patient comprenne de quoi il est le théâtre, mais ne vise pas son adaptation à la société. Et il jugera cruellement les Américains qui voudront faire de la psychanalyse la thérapeutique du bonheur... Une iconographie étourdissante, l'Homme aux loups, Lou Andréa Salomé, Jung, bien d'autres images rares donnent un caractère exceptionnel à ce document. Deuxième volet vendredi. F. G.

Jeudi, novembre 20, 1997
Le Nouvel Observateur