Quand les victimes elles-mêmes ont confiance

Leçon télévisée d'économie par Paul Volcker, président de la FED, qui annonce une reprise de l'économie americaine. Souligne la clarté de ses propos. Reprend les propos d'ouvriers americains, victimes de la crise, mais témoignant de leur croyance inébranl
LA TELEVISION PAR FRANÇOISE GIROUD

QUAND LES VICTIMES ELLES-MÊMES ONT CONFIANCE

« Je vois les premiers crocus fleurir dans le jardin »... Par cette métaphore bucolique, M. Paul Volcker, président de l'illustre Fed (Fédéral Reserve Board), interrogé par Christine Mital pour F.R.3, nous a annoncé les signes précurseurs d'une reprise de l'économie américaine.
M. Volcker est l'homme que tous les ministres des Finances du monde aimeraient haïr, en raison de la rigoureuse insensibilité qu'il n'a cessé d'opposer aux gémissements nationaux et internationaux s'agissant de sa politique d'argent cher (les fameux taux d'intérêt). Son interview, et l'émission où elle se trouvait insérée, n'aura sans doute rien appris aux familiers des Etats-Unis ni aux professionnels de l'économie. Mais rarement leçon pratique de capitalisme vécu et appliqué aura été plus claire.
Une reprise en Amérique, espoir auquel on est partout suspendu comme à une bouée de sauvetage, serait-ce que ça marche, leur capitalisme ? Ça marche, mais de temps en temps ça ne marche plus. La machine dérape, se bloque. Il faut la purger et ça fait mal, très mal à des millions d'hommes et de femmes, cela provoque des millions de drames individuels. Pendant ce temps, les prix baissent, la machine se rénove, la compétitivité renaît... Et ça repart.
L'intéressant n'eût pas été que M. Volcker le dise, tranquillement, pour justifier sa politique. L'intéressant, ce fut de voir et d'entendre quelques-unes des victimes de la purge, en particulier des ouvriers de l'industrie, souscrire à la logique du système. La crise ? « Elle est terrible, terrible, dit l'un. Mais ces choses-là arrivent de temps en temps... Il faut qu'on retrouve notre productivité. » Les licenciements ? « Pas marrant, dit un autre dont l'atelier ferme. Mais c'est normal qu'on licencie quand l'entreprise perd de l'argent. » On n'a pas fait grève dans sa boîte pour s'opposer aux licenciements ? « Drôle d'idée. On est tous dans le même bateau. » Reagan, qu'est-ce que vous en pensez ? « Bof ! dit un troisième, c'est l'histoire de la bouteille à moitié pleine ou à moitié vide. Ceux qui nous sortiront d'affaire, c'est les entrepreneurs... » Un autre encore, chômeur : « Moi, je crois à la libre entreprise... » Et un syndicaliste, au sujet d'une grande firme obligée de réduire ses effectifs : « Les patrons, ils sont formidables ici... »
MM. Krasucki, Maire et Bergeron diraient probablement d'une seule voix que de tels propos ne sont pas à la gloire des syndicats américains. Mais, pour le moment en tout cas et depuis longtemps, c'est comme ça que ça fonctionne, les Etats-Unis. Par la confiance du plus grand nombre dans un système provisoirement défaillant mais qui sait produire des richesses et accessoirement des riches. Ce qui ne dérange personne.
Et pourtant, ils souffrent, les Américains, en ce moment, ils souffrent durement ! Egalement interrogé, M. Félix Rohatyn, qui n'est pas un intellectuel de gauche sentimental mais un banquier de New York, a même évoqué « une crise très coûteuse socialement », tandis que le prix Nobel de sciences économiques Paul Samuelson dénonçait violemment la politique « cruelle », et selon lui inefficace, de M. Volcker.
Indépendamment de tout jugement moral, l'intérêt de cette émission est d'avoir montré que, pour subir une telle cure sans que ses institutions vacillent, il faut qu'un peuple croie à ses médecins. Et à leur ordonnance.
Quel que soit le remède, c'est toujours le problème. Partout.

F. G.

Mardi, octobre 29, 2013
Le Nouvel Observateur