Quand bat le coeur du monde

Tour de France excepté, c'est dans les «séries» - mais oui! - qu'il faut chercher, cet été, l'écho des passions des hommes et des tumultes du siècle
Toutes chaînes confondues, la télévision a pris pour l'été le parti de bégayer. On ne diffuse pas, on rediffuse.Une façon de faire des économies qui n'est pas, en soi, scandaleuse. Certaines émissions méritent une seconde diffusion. C'est seulement un peu agaçant quand on les a déjà vues, à moins qu'elles ne soient trèsanciennes et alors elles prennent parfois unesaveur particulière. Canal+ a su en utiliser quelques-unes dans le cadre d'une collection de documentaires diffusés tous les jours en clair pendant sept semaines. Histoire contemporaine au quotidien, cela mérite mieux qu'un coup d'oeil. Quand on dit série américaine, c'est souvent avec une pointe de condescendance. La dernière en date, que diffuse France 2, montre comment les Américains savent faire, quand ils veulent. Le thème d'«Urgences» a été inspiré par Spielberg. Il s'agit simplement de décrire la vie d'un service d'urgences dans un hôpital universitaire. Ce pourrait être sinistre, c'est captivant. Ballet de médecins, diversité des patients avec leurs peurs, leurs humeurs, leur douleur, jamais une minute à perdre pour intervenir, quelquefois avec succès, pas toujours, tension infernale... Quelques éléments romanesques vivement expédiés s'y mêlent. C'est très bon. Mais surtout, il y eut le Tour, que chaque chaîne s'est évertuée à illustrer, même Arte qui passe, à tort, pour être «élitiste». Ou peut-être que l'«élite» s'intéresse au Tour? Bien sûr qu'elle s'y intéresse. Le Tour est à tout le monde. Qui peut rester indifférent à cette épopée annuelle avec ses tragédies, ses souffrances, ses héros, ses grimpeurs ailés? Il y eut d'abord l'actualité, frémissante. Par exemple la septième étape avec ses coups de théâtre, Indurain exténué, Luc Leblanc ressuscité, Heulot évacué, Jalabert lâché et le Russe Berzine enlevant l'étape... Dangereux, ce Berzine. Il y eut les coureurs humiliés par la neige. Il y eut les documents. Arte ressuscita Fausto Coppi, le seigneur, insurpassable, insurpassé. Il ne grimpait pas, il volait. En avons-nous entendu parler, en son temps, de Coppi et de sa Dame blanche... Car il sut aussi être fou amoureux, brèche dans la légende du héros viril, et on osa le lui reprocher. Canal+ évoqua Raymond Poulidor, l'éternel second, qui ne gagna jamais le Tour et qui fut cependant ? ou à cause de cela ? le coureur le plus populaire de France. Un joli film retraça la vie de «Poupou» le courageux, fils d'ouvrier agricole, qui, à la force de ses jambes, tailla durement son chemin mais toujours derrière le premier, Anquetil, Merckx... Il pense qu'il a eu une belle vie, néanmoins. Son rêve inaccompli : porter le maillot jaune, ne serait-ce qu'une fois. Pour les connaisseurs, il y a eu aussi du bon jazz avec Count Basie, sur Arte, avec du New Orleans sur Canal+. Le tout est de dénicher ces émissions dans les grilles de programmes au lieu de garder éternellement les pieds dans ses charentaises. La perle était soigneusement enterrée par France 2 à 23h15. C'était le premier numéro d'une série anglaise magnifique, «le Siècle des hommes». Il a crevé l'écran. Il ne s'agit de rien de moins que de raconter le siècle, non à travers les puissants, ceux qui l'ont vu d'une terrasse, mais en compagnie d'hommes et de femmes ordinaires qui l'ont traversé, subi et parfois savouré. Témoignages où bat le cœur du monde, en ce siècle de fer, le monde de tout le monde. Un commentaire intelligent, une bonne «francisation» de la version anglaise originale quand il y a lieu, c'est un superbe travail. On nous annonce le deuxième volet pour le 11 août. A deux heures du matin, peut-être? Quel gâchis! Enfin, précédé des trompettes de la renommée, est arrivé le premier épisode de «Terre indigo». Dans la meilleure tradition de la fresque populaire, la Une a mis le paquet. Cela se passe à Cuba, il y a un bon, un méchant, une femme entre les deux, des secrets de famille, une ribaude au grand cœur, une mère noble. On s'aime, on se déchire, on se venge. Sur des thèmes éternels, comme on dit. C'est riche, coloré, fabriqué avec ambition, un peu trop peut-être, par un metteur en scène qu'ont grisé les mouvements de grue. Il y en a pour huit semaines. Les amateurs seront comblés. F. G.

Jeudi, juillet 11, 1996
Le Nouvel Observateur