Pour aller déjeuner chez sa mère

Nouvelle collection de YSL
COLLECTIONS

Pour aller déjeuner chez sa mère

Parfaits. Il n'y a pas d'autre mot pour qualifier les cinquante-six modèles qu'Yves Saint Laurent a réunis dans une brève collection confidentielle, à l'usage exclusif de sa clientèle très privée et de ses amies.
Cinquante-six comprimés d'élégance tranquillisante à avaler le matin ou le soir, selon les circonstances, propres à donner à la femme la plus mal assurée la certitude d'être... parfaite. C'est-à-dire de passer inaperçue, sauf aux yeux de ceux qui savent. Qui savent de combien d'essayages et d'heures de travail se paie l'aplomb d'un veston de gabardine blanche, par exemple.
Pas un tailleur — droit, net, ceinturé — qui interpelle, pas une robe-chemisier imprimée, sous un manteau uni, qui tire l'œil, pas une couleur qui hurle, pas un détail qui agresse, pas un modèle qui ne soit « jeune » , comme on disait autrefois, c'est-à-dire portable par n'importe quelle femme de n'importe quel âge. L'escarpin, le bas clair... L'ombre de Chanel passe.
L'intérêt de cette collection, c'est qu'elle cliché le renversement des données classiques de la mode.
Née autrefois dans la classe dirigeante, créée pour elle, suivie par les autres, elle provoquait, devant les créations de la haute couture parisienne, la stupeur des braves gens : « Mais qui peut bien porter ça ? où s'habillera-t-on comme ça ? » Moyennant quoi, trois ans plus tard, « ça » se retrouvait sur le dos de tout le monde dans le métro.
En blue jean. Voilà que c'est le contraire. La mode irrésistible, souveraine, celle qui exprime les relations des femmes avec l'idée qu'elles se font d'elles-mêmes, c'est le prêt-à-porter qui l'a créée — et Saint Laurent lui-même plus que quiconque dans ses boutiques — pour les jeunes femmes de la classe moyenne.
Parce qu'elles ont le nombre, elles ont, globalement, l'argent. Donc le pouvoir. Ce sont elles, les grosses consommatrices. Et qui n'ose « porter ça » à peine vu dans une vitrine ?
Quand c'est une façon d'exprimer sa neuve indépendance à l'égard de l'image traditionnelle de « la femme élégante », raffinée, sobre, briquée, descendant d'une Rolls, cela devient, à la limite, une manifestation sociale.
Au lieu de rire, quand une jeune milliardaire se promène en blue jean élimé, il serait intéressant de se demander quel reniement de la société à laquelle elle appartient cela traduit.
Comment sont les robes qu'elle pourra commander chez Yves Saint Laurent pour aller déjeuner chez sa mère, marier sa cousine, dîner chez les Rothschild ? Parfaites.

F. G.

Mardi, octobre 29, 2013
L’Express