Personne ne veut descendre à la prochaine ?

Sur la création du métro parisien, sur l'évocation de son passage à la gratuité
Six francs ? Sept francs ? Ou huit francs ?...
Messieurs les quatre-vingt dix conseillers municipaux de Paris, faites votre prix : on vient de vous donner le choix. On se demande en vérité pourquoi vous hésiteriez, pourquoi vous avez nommé une sous-commission chargée d'étudier le rapport de la commission à la sur commission, puisque la marchandise que vous allez taxer un peu plus haut, un peu plus bas, ne manque jamais d'acheteurs puisque quatre millions de tickets de métro s'achètent tous les jours aussi facilement qu'un directeur de cantine.
Bien sûr, ce n'est pas votre faute.
C'est la faute de Pascal — et de Cléo de Mérode.
Celui qui a dit: '' J'ai découvert que tout le malheur des hommes vient d'une seule chose qui est de ne pas savoir demeurer au repos dans sa chambre '' avait probablement le goût du paradoxe, puisqu'il s'est employé pendant un an à organiser les premiers transports en commun de la région parisienne : cinq carrosses sur cinq routes à cinq sols, inaugurés le 18 mars 1662.
Depuis, les hommes ont pris de moins en moins de repos dans leur chambre. Ils ont pris par contre de mauvaises habitudes : 730 millions de voyageurs dans les trains, 780 millions de voyageurs engouffrés dans 362 stations de métro et dans 1785 autobus, en 1947. Si tout le malheur vient de là, il faut reconnaître que les chiffres sont à sa taille.
Où courent-ils donc, comme ça. les Français ?
Pour aller de plus en plus vite, de plus en plus nombreux, d'un point à un autre, d'un amour à un autre, d'une opinion à une autre, d'une guerre à une autre, ils ont eu besoin d'un manchot têtu, de deux Belges et d'un danseuse.
Le manchot têtu s'appelait Bienvenue, était ingénieur et avait une envie impérieuse d'installer un chemin de fer sous les rues de Paris.
Mais, pendant vingt-cinq ans le conseil municipal lui répondit : « Il fera faillite, votre chemin de fer métropolitain. » Ce en quoi il avait d'ailleurs parfaitement raison puisque l'exploitation du métro a presque toujours été déficitaire
Le manchot connaissait une danseuse, Cléo de Mérode. La danseuse connaissait un roi des Belges, Léopold II. Ils avaient dansé ensemble et dans l'intimité un de ces « pasdedeux » où la légende affirme qu'elle était une partenaire inégalable. Léopold le bien-aimé voulut lui prouver qu'il n'était pas un ingrat. Qu'elle formule un vœu: il serait exaucé.
Elle voulut le métro.
Quelques jours après, Bienvenue exposait son plan au roi devant un financier belge, le baron Empain.
Ils surent, à eux deux, convaincre le gouvernement français. Et le 19 juillet 1900. la compagnie, dont le roi de Yougoslavie était également actionnaire, transportait de Vincennes à Maillot, sur un parcours de 13 km. 300, le premier des voyageurs.
Or, le conseil municipal avait prévu la faillite faute de voyageurs. En 1936, Bienvenue mourait, pauvre, et le métro roulait, sur 186 km., pauvre.
Mais 862 millions de voyageurs voyageaient et continuaient d'ailleurs à arriver en retard à leur travail et à leurs rendez-vous moyennant 1 fr. 30.
Aujourd'hui, il leur en coûte 5 francs. C està-dire que le métro est dans la triste situation de ses voyageurs. Ses revenus ont triplé mais il dépense, zéros mis à part, 113 francs alors qu'il en gagne 48. Pour boucler son budget, il faudrait qu'il puisse vendre ses billets 8 francs.
C'est l'autorisation qu'il a demandé, bien poliment, au conseil municipal de Paris. Il y a de fortes chances qu'il l'obtienne.
S il fallait une preuve, le démenti oificiel de M. Christian Pineau suffirait, qui a dit quatre jours avant la requête déposée par la direction du Métropolitain au conseil municipal : « La bonne foi des journaux a été abusée par des renseignements de caractère fantaisiste. »
Monsieur Pineau, vous en êtes un autre.
Si toutefois le conseil municipal refusait, il y aurait évidemment une excellente solution : le métro gratuit.
Ce n'est pas une plaisanterie. Gratuit et libéré ainsi de nombreuses charges, personnel, impôts, etc, le métro pourrait rouler moyennant une dépense annuelle de 3 milliards. C'està-dire la moitié de ce qu'il a coûté à la Ville de Paris en 1947. C'est- àdire moins ce qu'il lui coûtera en 1948 si le prix du billet est porté à 6 francs.
Même un ministre des Finances comprendrait l'intérêt de l'opération, qui a d'ailleurs été,envisagée par M. Jules Moch.
Mais il y a des opérations qu'il vaut mieux ne pas tenter. Car que dirait les Français s'ils apprenaient demain matin qu'ils peuvent ''rouler gratis''.
Ils calculeraient peutêtre qu'en supprimant, comme le métro, la moitié de son personnel, la France pourrait, elle aussi '' rouler gratis''.
Et c'est, le personnel qui, à son tour, se ferait « descendre à la prochaine ».

Mardi, octobre 29, 2013
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