N'essayez pas de comprendre Cézanne

Exposition du peintre Paul Cézanne au Grand Palais. Conseils de FG pour aborder sa peinture.
N'essayez pas de comprendre Cézanne

Pour le regarder, il faut se débarrasser des habitudes infligées à l'œil par la paresse de l'esprit.

Comprendre Cézanne, c'est la marotte à la mode. Les albums, somptueux, se multiplient, les CD-ROM aussi, les magazines en sont pleins, chacun veut « faire comprendre » Cézanne à la foule des Parisiens qui est attendue au Grand Palais.
C'est gentil et d'une certaine façon, c'est drôle. On ne comprend pas la peinture, pas plus qu'on ne la décrit. C'est une somme d'émotions que l'on éprouve ou que l'on n'éprouve pas. Et si on ne l'éprouve pas, toutes les explications du monde vous laisseront froid. Dites que Cézanne ramenait à la sphère, au cône et au cylindre tous les aspects de la nature, et voilà que l'amateur de bonne volonté se mettra à les chercher dans chaque montagne Sainte-Victoire comme on cherche « les sept erreurs » dans un dessin... Mauvaise préparation pour absorber des chefs-d'œuvre.
A ceux qui, grâce à cette exposition, découvriront Cézanne, on a envie de dire : « N'essayez pas de comprendre... Ce n'est pas une affaire de technique même si elle est présente, qui vous donnera du plaisir... Regardez, regardez longtemps, jusqu'à ce que quelque chose d'indicible vous pénètre... Un enfant est là, tête nue, un foulard blanc au cou, quatre joueurs à une table, avec du vin, des cartes, des pipes, de vieux habits, les poings posés, une femme est en peignoir, les mains croisées, une autre coud, une
autre est là devant lui, sans rien faire, c'est toujours la même chose, de la matière peinte, des visages abrégés où deux trous noirs font les yeux dans un ovale massif, des vêtements d'une étoffe rugueuse, mais de tout cela rayonne un éclat sombre et riche, le sentiment d'une pleine solidité, un équilibre essentiel des masses dans la simplicité des attitudes et des profils que les Égyptiens seuls, peut-être, les sculpteurs primitifs français et Giotto avaient réalisé jusque-là... »
Vous serez peut-être déconcerté, parce qu'il n'y a pas d'anecdote chez Cézanne, pas de pittoresque, pas d'ornement destiné à plaire. Mais pour le regarder, il faut se débarrasser des habitudes infligées à l'œil par la paresse de l'esprit...
Il n'est pas interdit non plus de s'intéresser à l'étrange bonhomme qui a produit ces merveilles. « Sauvage, candide, irascible et bon », méconnu pendant la plus grande partie de sa vie et qui s'écria, un jour de colère : « Vous savez bien qu'il n'y a qu'une peinture au monde, c'est moi ! » Il était, à l'époque, le seul à le savoir.
Il vivait à Aix, solitaire, quand il s'en allait tous les matins peindre « sur le motif » comme ses amis les impressionnistes, les gamins lui jetaient des pierres, dans le pays on disait « Cézanne est fou ».
Les hommes lui faisaient peur, il se cachait des femmes, son copain d'enfance avec lequel il allait se baigner dans l'Arc en récitant à tue-tête Hugo et Musset s'appelait Zola...
Barbichu, moustachu, il avait « l'aspect d'un soldat malmené par la vie de garnison, un nez violet, des paupières rouges », tel était celui qu'Henri Matisse appelait le Bon Dieu de la peinture.
Mais tout cela est connu. L'important est ailleurs, dans ces milliers de regards qui vont dévorer Cézanne pour la première fois et ressentir - peut-être jusqu'au fond de l'âme - ce que peindre veut dire.

F. G.

Mardi, octobre 29, 2013
Le Figaro