Ne coupez pas, S.V.P. !

L'histoire vraie de deux médecins criminels, à l'hôpital d'Autun
JUIN 1948 : M. Fougerat se présente à l'hôpital d'Autun où il est reçu par le docteur Sautter, chirurgien chef :
— Docteur, Je ne me sens pas très bien... J'ai mal à l'estomac...
— Vraiment ? Nous allons arranger ça. Voilà qui est fait.
Au revoir monsieur, à la prochaine.
Juillet 1948:
M. Fougerat se présente chez un autre médecin de la ville.
— Docteur, je ne me sens pas bien. J'ai mal à l'estomac
— Vraiment? Vous m'étonnez. Vous n'avez plus d'estomac
Mars 1948 : M. Chemid se présente avec sa femme à l'hôpital d'Autun où il est reçu par le docteur Sautter,
— Docteur, ma femme se sent mal... Elle souffre d'une cystite.
— Vraiment ? Nous allons arranger ça. Laissez-là ici.
Trois jours plus tard, M. Chemid revient :
— Ma femme souffre beaucoup ?
— Plus du tout. D'ailleurs, vous n'avez plus de femme. Et vous, M. Mollon, vous venez voir où en est l'occlusion intestinale de votre fils ? Elle est guérie. Vous n'avez plus de fils...
Ainsi, à l'hôpital d'Autun, supprimaiton le mal en supprimant les malades, comme on supprime les grèves en supprimant les grévistes. Faute de savoir faire mieux.
Ces méthodes n'ont qu'un temps.
Pour les chirurgiens d'Autun, le temps est fini. Du moins on l'espère. Et le scandale commence...
Qui a opéré? Le docteur Jacob. Qui est le docteur Jacob ? Fou du scalpel (Le Populaire), Boucher d'Autun (Libération), Sadique du bistouri (l'Humanité), Maniaque du bistouri (l'Aube), Pervers du bistouri (Paris - presse), Carabin sanglant (France-soir), exceptionnellement tout le monde est d'accord.
Pourtant il y a tous les jours des chirurgiens qui assassinent distraitement leurs clients sans qu'on fasse du bruit pour autant. Mais cette fois on en tient un qui n'était pas régulièrement autorisé à massacrer ses contemporains
Et l'imposteur devient un monstre avide de sang, parce que l'histoire est évidemment plus jolie comme ça.
Malheureusement, cette belle histoire ressemble de plus en plus à une sale histoire, le monstre à un moustique et l'administration hospitalière à une pétaudière. Jugez plutôt.
Il y a un an environ, M. Lassalle, directeur de l'hôpital d'Autun, met une petite annonce dans les offres d'emploi. Que cherchet-il ? Une femme de ménage ? Non. Un médecin. Un jeune homme de vingt-quatre ans, Pierre Jacob, marié, père de deux enfants, pose sa candidature par lettre le 1er septembre.
Le 13, la commission administrative se réunit. Le directeur et le docteur Sautter présentent Jacob et déclarent qu'il a les vingt inscriptions nécessaires à son admission.
Le Dr Sautter affirme maintenant avoir été trompé par Jacob qui ne possédait en fait que huit inscriptions. Jacob prétend, lui, avoir dit la vérité. Que l'un ou l'autre mente aujourd'hui, toujours est-il que la commission désigne Jacob au poste d'interne de l'hôpital d'Autun. La préfecture entérine cette décision.
Une enquête pour vérifier la situation du nouveau venu ? Pourquoi faire ? Après tout il ne s'agit que de la vie des malades qui occupent les 250 lits de l'hôpital. La préfecture de la région a bien d'autres enquêtes plus urgentes à effectuer pour le repos de la société, à propos de quelque dangereux individu qui se prénomme Henri- Jacques sur son passeport et Jacques - Henri sur sa carte d'identité par exemple.
Jacob s'installe à l'hôpital. Logé, nourri et 5000 francs par mois. Interne ou pas, diplômé ou pas, la loi du 17 avril 1943 lui interdit d'opérer sans le contrôle d'un chirurgien. Cependant il opère seul seize fois et cet impatient tue sept patients.
On voudrait bien croire qu'il se cache, qu'il opère en catimini, sous la table ou sur la cheminée du salon pour
« assouvir une funeste passion ». Mais aussi distrait que soit son chef, il a tout de même dû s'apercevoir qu'on opérait chez lui !
D'autant que le docteur Sautter ne néglige pas de percevoir les honoraires que lui versent les opérés pas rancuniers. On a prononcé le chiffre de deux millions et demi pour une période de six mois.
Le docteur Jacob dépeçait, le docteur Sautter encaissait, et les opérés disparaissaient.
Le docteur Benoist, chirurgien chef de la Maternité d'Autun, a conclu : « Les histoires de ce genre sont malheureusement assez courantes dans notre profession. »
On s'en doutait un peu, mais on aurait préféré se tromper.
En attendant que ces messieurs lavent leur linge sale dans le sang de leurs malades, tous les habitants d'Autun qui ont été hospitalisés se tâtent avec inquiétude. Ils voudraient bien être assurés qu'il ne leur manque rien.

Mardi, octobre 29, 2013
Carrefour