L'Union fait la fête

Retrace le contexte d'un spectacle de comédiens (200 comédiens, mené par Jean Gabin...
L'union fait la fête

par Françoise GIROUD

Dans l'après-midi, on dit négligemment à tous ses amis : « Vous allez aussi au gala de l'Union, ce soir ? » histoire de montrer que l'on sera l'un des trois mille spectateurs de cette nuit à laquelle tout Parisien doit avoir assisté une fois au moins, et pas seulement pour pouvoir dire : « J'y étais. »
Parce quelle a l'éclat et la perfection incomparables de ce qui jaillit du cœur, de, ce cœur que chaque comédien, du plus humble au plus grand, offre ce soir-là à ses camarades lorsqu'il entre en piste, frémissant.
Fier à 17 heures, on l'est moins à 23 heures. C'est le moment où l'on se dit :
« Et si je me couchais au lieu de sortir ? »
Mais se coucher lorsqu'on a son billet en poche, c est une de ces choses que personne n'ose faire. Alors, on s'habille en bâillant.
A minuit et demi, le boulevard du Temple est déjà tout ourlé de voitures rangées. Un dais rouge violemment illuminé émerge de la huit. La fête commence.
Alors, soudain, il y a le choc que procure cette immense salle ronde où chaque femme n'est peut-être pas jolie, où chaque homme n'est peut-être pas élégant, mais où toutes les femmes et tous les hommes, épaules blanches contre habits noirs, diamants lumineux, parfums légers, fourrures profondes, donnent ensemble le sentiment d'avoir voulu ce soir-là montrer eux aussi ce qu'ils savent faire.
Vingt-huit loges entourent la salle d'un collier de noms et de visages célèbres qui se laissent regarder avec bonne humeur, et quand elle s'illumine, étincelante sous son dôme d'argent où s'entrelacent des rivières de lumière, les applaudissements fusent comme si les spectateurs se saluaient eux-mêmes.
Il est là, il paraît, bleu (le costume), blanc (les cheveux), rouge (l'émotion) : Jean Cabin, dompteur, ouvre la série des vingt-deux numéros de cirque exécutés par deux cents comédiens.
Il ne reste plus qu'à applaudir pendant quatre heures.
Devant Hélène Perdrière, silhouette blanche menue et fière dans sa longue amazone, on se dit :

(Suite page 11.)

FRANÇOISE
GIROUD

(Suite de la première page.)

« Voilà, c'est cela la grâce. » Et toutes les femmes semblent soudain lourdes, maladroites, trop brunes devant tant d'élégance blonde. Seul le poney qu'elle présente refuse de se laisser séduire.
Devant Dominique Blanchar, silhouette blanche, hardie, pleine dans son fuseau aux épaules nues, on se dit :
« Voilà aussi la grâce. »
Et toutes les femmes semblent soudain fanées, trop blondes, trop maigres ou trop grasses devant tant de jeunesse brune.
Dans la loge familiale, papa et maman suivent avec émotion les exploits de Dominique, dresseuse de chiens. Mais elle exécute son numéro avec cette assurance de vieux professionnel qui est la sienne et dont on se demande si elle est inconscience d'enfant prodige, maestria de comédienne déjà rouée ou tout simplement bénédiction des dieux sur cette tête charmante.
L'heure passe sans que l'on songe à l'interroger.
Fernand Gravey, cavalier noir de grande allure, salue à chaque tour de piste une loge. Les lorgnettes se braquent : c'est celle de sa femme, Jane Renouardt.
Edwige Feuillère montre ses jambes et s'assied sur celles de Noël-Noël; la Comédie-Française obtient un authentique triomphe dans une parodie des ballets noirs de Katherine Dunham, Claude Dauphin coupe Sophie Desmarets en deux. Noël-Noël s'évanouit devant l'un des morceaux, Jean-Louis Barrault et Madeleine Renaud déchaînés dansent le jitterburg avec les rats de cave de Saint-Germain-des-Prés, Bourvil défie le champion de France de catch et fait rire deux mille personnes assises depuis trois heures, ce qui représente une assez jolie performance.
Jamais l'expression « rire à gorge déployée » ne parut d'ailleurs plus indiquée, tant les décolletés sont généreux, ce printemps.
Et ça continue ! Les costumes sont parfaits, les entrées précises, le spectacle réglé sur un rythme de grande revue. Quand, à 5 heures du matin, on voit soudain le poids de la nuit sur les visages tirés qui se bousculent vers la sortie, cinq millions sont tombés dans la caisse de l'Union des Artistes.
— Mon numéro de trapèze n est pas au point, mais je vous promets que je le ferai l'année prochaine !... avait annoncé gravement Marguerite Moreno l'année dernière.
Les artistes passent, les galas demeurent pour ceux auxquels la gloire est rebelle ou infidèle.
Dehors, il pleut. Les traînes de mousseline et de tulle balayent le pavé gras.

L'actualité théâtrale ne présentant rien de saillant, notre collaborateur René Barjavel ne donne pas de critique cette semaine. — N. D. L. R.

Mardi, octobre 29, 2013
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