Les sandales d'Empédocle

Pour raconter l'épopée de la science à travers les siècles, Michel Serres a commencé par embrouiller le peu que j'en savais...
Pourquoi nous fait-il ça, Guillaume Durand, pourquoi? Nous n'étions pas des millions, certes, mais quelques milliers heureux d'avoir à 19h15 une bonne émission substantielle où il interrogeait à fond le personnel politique, syndical, parfois quelques vedettes de l'actualité... C'était sur LCI. Il répétait trois fois par phrase «Comment dirais-je?», mais on ne lui en voulait pas. Voilà qu'il nous laisse tomber pour aller faire le zouave sur Canal+ dans «Nulle Part ailleurs» entre quelques amuseurs. Besoin de changer? Besoin d'argent? Besoin d'élargir son audience? En tout cas nous autres, ses fans, nous nous sentons trahis. Parmi toutes les horreurs qui défilent sur l'écran, nous avons eu droit au système carcéral russe. Une pure abomination. Des gens enfermés pendant des années sans jugement, sans avocat, dans des locaux infâmes, 100 détenus dans une pièce, 36lits pour tout le monde. Il faut se relayer la nuit pour pouvoir s'étendre. Les rats pullulent, et la tuberculose, et l'hépatite. Des mères, inlassables, se démènent pour que leur fils passe en jugement, elles y emploient leurs journées, courant de l'un à l'autre, suppliant... Ces détenus ne sont pas des petits saints. Mais souvent ils ont commis une peccadille. N'importe. Situation lamentable que la Commission des Droits de l'Homme a dénoncée. Mais qui s'en soucie en Russie? Tout de même, les autorités pénitentiaires ont permis ce reportage avec l'espoir qu'il ne serait pas sans effet. En attendant, il faut savoir qu'on crève dans les prisons de M. Eltsine. («Envoyé spécial».) A partir du livre de Pierre Péan et Christophe Nick sur «Un pouvoir», celui de TF1 (dont on a déjà dit un mot ici), Bernard Pivot a conduit un débat intéressant sur le pouvoir politique de la télévision. Y participaient, outre les auteurs, Dominique Wolton («Penser la communication») et Roland Cayrol («Médias et démocratie, la dérive»). Et d'abord, a-t-elle un réel pouvoir? L'exemple de TF1 jouant en 1995 Balladur contre Chirac montre ses limites... Même chose aux dernières élections. Mais si la télévision n'avait pas d'influence, elle n'aurait pas de publicité. Les dirigeants de TF1 ont le sentiment d'exercer un pouvoir. Et ils ont en effet celui de donner l'antenne à qui leur plaît. De construire un personnage. De l'ignorer. C'est leur instrument. Il est logique qu'avec l'ampleur de leur audience ils se situent dans l'axe majoritaire du pays. Mais si des groupes industriels deviennent les maîtres de l'information ? situation dont la France a le triste privilège ?, la liberté de cetteinformation va disparaître.Aux dernières élections, 20% des Français se sont décidésen fonction du Journal de 20heures. Responsabilité formidable. Dans quel sens a-t-elle pesé? En vérité, mesurer l'influence politique de la télévision est impossible. Mais il serait aussi vain de la nier que de la diaboliser. Une seule chose rassure : les spectateurs ne sont pas des veaux. Sujet plus paisible : Guy Bedos en tournée, suivi par Mireille Dumas. D'hôtel en hôtel, de salle de concert en salle de concert, il allait, avec son équipe, souriant, malicieux, répétant son spectacle sous la houle des rires, bavardant gentiment avec ses admirateurs et admiratrices, même avec des Corses menaçants, disant pudiquement la solitude de l'artiste le soir, après le spectacle, qui peut «rendre dingue» ... Un joli portrait. (France2.) Dans le premier des douze films où il va raconter l'épopée de la science à travers les siècles, Michel Serres, mêlant le vrai et la fiction, aembrouillé le peu que j'en savais. C'était très artistique, cependant, poétique, lyrique, philosophique, mais ce savant sicilien, Majorana, qui disparaît mystérieusement avec les secrets de l'atome en 1938, a-t-il vécu, ou était-ce une métaphore? Avec Archimède dans son bain, on s'y retrouvait un peu. Eurêka, j'ai trouvé la force qui soulève le corps de l'eau, on apprend cela quand on est petit. Empédocle, le philosophe magicien, fut plus mystérieux, qui considérait la science comme «dominée par le double rapport de l'amour et de la haine» (?) et qui se serait jeté dans l'Etna pour qu'on le croie remonté au ciel. Mais le volcan vomit ses sandales. Raté! On est prêt à s'émerveiller devant ce que Michel Serres appelle l'«explication intelligente du monde», mais un peu de clarté aiderait le profane à ne pas s'en sentir indigne. (Arte.)F. G.

Jeudi, juin 19, 1997
Le Nouvel Observateur