Les jurés anglais ont de la chance...

À d'un fait divers, critique deux procès français, l'un de l'ambassadeur Otto Abetz qui a voulu sauver Paris et celui d'une femme « que la foule féliciterait presque parce qu'elle a tué son mari)
Pendu jusqu'à ce que mort s'ensuive, John Haig, vampire de Londres, sera pendu.
Etant donné la façon bien personnelle qu'avait ce séduisant jeune homme d'utiliser l'acide sulfurique en guise de sels de bains, on ne pouvait guère s'attendre à un autre verdict. Pourtant, la justice anglaise a prouvé, une fois encore, qu'elle ne badine pas avec le respect de la personne humaine et que, vampire ou pas, tout accusé bénéficie de la loi du silence que les règlements imposent à la presse avant l'ouverture d'un procès.
Le Daily Mirror, qui avait enfreint cette loi en donnant prématurément quelques détails sur l'affaire, a fait l'objet d'une inculpation. Or, la responsabilité de ce journal était couverte par un membre de la police qui avait communiqué certains renseignements en précisant qu'ils pouvaient être publiés. Il se déclara prêt à en témoigner.
Et, là, intervient encore la dignité britannique et ce sens civique qui est la force suprême de la liberté : la direction du Daily Mirror, se jugeant elle-même coupable, refusa d'invoquer ce témoignage et se laissa volontairement condamner à une peine de prison.
En même temps, le gouvernement interdisait la projection d'un film, Obsession, histoire d'un tueur qui pouvait, de par son affabulation, influencer le jury.
Les jurés anglais ont bien de la chance.
On leur donne non seulement la faculté de juger véritablement en leur âme et conscience — et non avec cette âme et cette conscience des autres que l'on appelle l'opinion publique — mais encore leur offre-t-on des vampires !
C'est commode, un vampire. Ça tue énormément, ça se livre à toutes sortes de fantaisies éminemment dangereuses pour la société ; et même lorsque ça laisse, comme John Haig, une jeune fiancée éperdue d'amour et de chagrin, on peut penser que ladite fiancée est encore mieux baignant dans les larmes que dans l'acide sulfurique.
Les jurés français ont été beaucoup moins gâtés, ces dernières semaines.
Devant eux ont comparu un ambassadeur sans lequel Paris eût été réduit en cendres et une femme que la foule féliciterait presque parce qu'elle a tué son mari.
Et il fallait les juger, mesurer leur exacte culpabilité sur cette antique balance où les mêmes poids grossiers servent pour tous les hommes et pour tous les crimes.
L'ambassadeur, Otto Abetz, ira au bagne pendant vingt ans. C'est un criminel de guerre. En 1940, il voulait envoyer aux galères les ministres français « responsables de la guerre ». En 1949, c'est lui qu'on y envoie, ce qui suffirait à prouver, si on ne le savait déjà, que, entre un haut fonctionnaire et un criminel de guerre, il n'y a que l'épaisseur d'une victoire. La France a condamné l'Allemagne à vingt ans de travaux forcés. Vingt ans... Juste le temps qu'il faut pour faire d'un nouveau-né un combattant. Ambassadeur jusqu'au bout, Abetz ira représenter son pays qu'il aimait au milieu d'assassins moins connus.
Quant à Jeanne Seznec, on imagine mal quel jury eût osé décevoir une foule grondante et prête au scandale.
Il ne s'agit pas de discuter ici ou ailleurs de jugements qui sont peut-être très exactement ceux que Salomon lui-même aurait rendus, mais de constater simplement que le climat de passion dans lequel s'ouvrent et se déroulent les débats des grands et des petits procès ne facilite pas la tâche de ceux qui ont le pouvoir redoutable d'ôter la vie, l'honneur et la liberté.
La Cour, soit ! Mais pas la basse-cour !...

Mardi, octobre 29, 2013
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