Les Françaises et l'amour

Analyse une étude de l'IFOP
« Rien ne m'a arrêtée pour vivre avec l'homme que j'aimais... » Cette petite phrase d'une femme de quarante ans, considérez-la bien. Elle est unique.
On chercherait en vain, dans les résultats de l'enquête menée par l'I. F. 0. P. sur « La Française et l'amour », une autre manifestation de passion, de folie ou de démesure.
Qu'elle ait vingt ans ou cinquante, qu'elle soit ouvrière ou grande bourgeoise, qu'elle soit célibataire ou mère de six enfants, la femme française apparaît, à travers les documents que nous avons pu consulter et qui tendent à tracer son image face à l'amour, comme...
Les uns diront : comme un modèle d'intelligence, de sagesse, d'équilibre et de raison.
Les autres diront : comme une petite personne un peu sèche, froide, sans générosité, essentiellement soucieuse de sécurité en tout genre, et ne tenant nullement à naviguer sur les eaux incertaines de la passion qui dévore le cœur ou les sens.
Il va de soi que 8 millions et demi de femmes, entre vingt et cinquante ans, ne répondent pas au même signalement sommaire et qu'aucun sujet ne se prête moins à généralisation.
Mais enfin l'enquête est là.
A l'origine, ce sont deux producteurs de films, MM. Robert Woog et Jacques Rémy, qui ont satisfait (moyennant sept millions, coût de l'enquête) à leur curiosité en chargeant l'I.F.O.P. de poser à mille femmes soixante questions portant sur sept états : l'enfance, l'adolescence, la virginité, le mariage, l'adultère, le divorce, la solitude.
Sont-ils aujourd'hui mieux renseignés ? Ou le sont-ils moins bien...
En matière d'amour, plus qu'en toute autre, on ne pense pas toujours ce que l'on dit, on ne dit pas toujours ce que l'on fait, on ne fait pas toujours ce que l'on croyait vouloir.
Du volumineux matériel réuni à leur intention, sept auteurs (Marcel Aymé, Félicien Marceau, Charles Spaa , Michel Audiard, Paul Gégauff, etc., assistés en principe chacun d'une femme : Christiane Rochefort, Louise de Vilmorin, France Roche, etc.) sont en train de tirer sept séquences de
film que réaliseront sept metteurs en scène et qui constitueront ensemble un grand film intitulé : « La Française et l'amour ».
En attendant que les spectatrices puissent vérifier de visu si leurs problèmes ont été bien posés, et leur attitude face à ces problèmes bien comprise, MM. Woog et Rémy ont fait tenir à quelques journaux les résultats de l'enquête qui leur appartient.
Et quelque réserve que l'on puisse faire sur les méthodes de sondage appliquées à un domaine où les clichés sont si nombreux, si puissants qu'aucune vérité profonde n'est à espérer, il y a dans ces dossiers rouges quelque chose de bien intéressant. Car rien n'est moins « libre » que l'amour, rien n'est plus lourd d'interdits moraux, sociaux, religieux, d'idées reçues, que la conduite face à l'amour. Une société s'y reflète toujours.
Sur les mœurs amoureuses des Françaises, l'enquête est vague, sinon muette. Ce n'est pas un regret. C'est une constatation. Aussi son titre parait-il un peu ambitieux.
Rien de comparable à l'étude du docteur Kinsey. Les rares questions de cet ordre ont été formulées et posées de telle sorte que les réponses révèlent davantage ce que les femmes attendent et pensent de l'amour, que la façon dont elles le vivent.
Par exemple, la question suivante :
— A votre avis, est-ce que les rapports physiques avec leur mari jouent un rôle important pour les femmes ?
68 % répondent : « pour presque toutes ».
22 % répondent : « pour une minorité ».
10 % ne répondent pas et font ainsi preuve d'un salutaire bon sens. Que savent-elles « des femmes » ? Que sait-on des autres, et singulièrement dans ce domaine ?
Le corollaire de cette question est encore plus significatif.
— A votre avis, leur a-t-on demandé, est-ce que dans l'ensemble les femmes mariées sont plutôt satisfaites, plutôt indifférentes ou plutôt déçues par l'amour physique dans le mariage ?
Réponses : satisfaites : 46 % ; indifférentes : 15 % ; déçues : 22 %.
Et à votre avis ? Et au mien ? Quelle valeur peut-on attacher à un « avis » sur ce point ? Sans doute faut-il féliciter les enquêteurs de leur délicatesse, mais ce n'est pas un avis qui peut avoir du prix ici.
En hasardant l'hypothèse selon laquelle, malgré sa forme indirecte, la question a été entendue directement, les pourcentages obtenus ne peuvent être interprétés que très superficiellement.
Les uns en concluront que les Français ne sont donc pas à la hauteur de leur réputation. Les autres objecteront qu'ailleurs c'est bien pire, mais le sujet n'aura été, en fait, qu'à peine effleuré, puisque nul n'est en mesure de dire ce que recouvrent au juste ces deux mots : satisfaite, déçue.
Tout ce que chacun de nous est libre d'imaginer, de placer sous ces mots, est subjectif, et si l'on refuse d'entrer dans le détail de telles questions, autant reconnaître que les réponses sont sans valeur d'information.

Était-il possible d'aller au-delà ? Une assistante sociale remarque :
« Les femmes ne racontent jamais spontanément l'histoire de leurs amours. Dans l'ensemble, la femme nie sa vie sexuelle... » Si cette observation est juste, elle est révélatrice. Mais de quoi au juste ? D'une louable pudeur ? D'une répugnance infantile à assumer sa condition d'être humain, esprit et chair mêlés ? D'une dégradation de la tradition religieuse ? Nier la vie sexuelle, ce n'est point la dominer.
L'hypothèse optimiste — la pudeur
— ne peut malheureusement pas être retenue lorsqu'on lit des aveux tels que :
« Je trouve ça dégoûtant, avilissant...
« J'avais honte de moi, de lui, de tout...
« Une corvée, un geste comme un autre...
« J'accepte, parce que j'ai l'impression que je rends service à mon mari. »
Et un prêtre livre cette réflexion : « Le plus grave problème est celui des hommes à qui la femme se refuse. Elles sont étonnées quand on leur dit que, du point de vue de l'Eglise, c'est une faute grave. Il a fallu que je sois, confesseur pour comprendre qu'il y a beaucoup de femmes frigides... »
Jugement que corroborent celui d'un médecin et celui d'un avocat.
« Beaucoup », combien cela fait-il ?...

Il doit être assez rare qu'une femme revendique faussement la frigidité ou du moins l'insatisfaction. Lorsqu'une sur deux se déclare insatisfaite ou déçue, on est en droit de penser qu'elle ne se vante pas.
Parmi les femmes situées entre vingt et un et vingt-quatre ans, - on en trouve six sur dix pour répondre « qu'à leur avis, les femmes sont satisfaites par l'amour physique dans le mariage ». Mais ce pourcentage va brusquement décroissant, et on ne trouve plus que 45 % des femmes situées entre trente-cinq et trente-neuf ans et 35 % des femmes de plus de quarante ans pour en demeurer persuadées.
Les jeunes femmes qui se disent satisfaites, puis qui changent d'avis en prenant de l'âge, que leur arrive-t-il ?
Délaissées ? Au chapitre de l'adultère, nous apprenons qu'une femme sur quatre seulement — et même un peu moins — trompe son mari. Les autres peuvent en avoir envie et s'abstenir, certes. Mais ce chiffre doit ''tout de même signifier qu'elles s'abstiennent, dans l'ensemble, sans trop de difficultés.
Désillusionnées? Il semble en effet qu'un certain nombre de jeunes femmes se jugent satisfaites, au début de leur mariage, parce que, étant donné l'idée qu'elles se font du mariage, elles se croient automatiquement comblées. Et puis, elles découvrent qu'elles ne le sont pas.
Mais, sans pouvoir avancer de chiffres, il apparaît bien que la terreur de multiplier les enfants est essentiellement responsable.
Avant le mariage, on enregistre d'attendrissantes déclarations :
« Je ne m'imagine pas autrement qu'entourée d'enfants gais et rieurs, s'amusant dans un coin, avec le papa fumant la pipe en lisant le journal... »
« Je me vois, promenant mes enfants, dans la rue ou au Luxembourg... »
« Je nous imagine tous les deux penchés sur un berceau, souriant à un petit être semblable à nous... »

Et puis, à l'épanouissement imaginé — et heureusement vécu dans de nombreux cas — se substitue souvent la résignation morose, le refus, le sentiment d'une dépendance péniblement ressentie.
On se dit :
« Les enfants, pour moi, au début, c'était un accomplissement de notre amour. Les trois autres, ç'a été une corvée. »
« Les trois premiers, je les ai reçus comme une bénédiction. Pour les suivants, je trouvais quand même que le Seigneur avait la main lourde et qu'il aurait pu mieux disperser ses dons. »
« J'ai été déçue, non par mes enfants, mais par la fatigue, les servitudes et par l'énervement qui s'ensuivait. Et je n'étais plus comme j'aurais voulu être... »

Il n'est pas facile de faire la part des choses, de savoir ce qui revient à la peur de la maternité répétée et ce qui découle de « censures » issues de l'enfance.
Il reste qu'une femme sur deux vit en marge de l'accomplissement physique.
Est-ce important à leurs yeux ?

A la question :
— L'amour physique doit-il à votre avis occuper une place très importante, assez importante, réduite ou aucune place ?
18 % répondent : très importante.
59 % répondent : assez importante.
17 % répondent : réduite.
1 % répondent : aucune.
L'homme semble donc, physiquement subi plutôt que désiré, dans de nombreux cas, et on voit assez bien se profiler, derrière la moitié environ de ces réponses, un vaste regret : que les hommes ne puissent pas se tenir un peu tranquilles, surtout après le troisième enfant, et manifester leur attention en paroles, en sourires, en compliments ; alors qu'ils font apparemment le contraire et que bon nombre de femmes se sentent assez rapidement frustrées de considération, d'éloges, du sentiment qu'elles voudraient conserver de leur importance en tant qu'être humain et non en tant que machine à procurer du confort.
Faute d'éléments comparatifs, il est impossible de savoir si les Allemandes, ou les Italiennes, ou les Suédoises sont plus ou moins bien loties. On voit d'ailleurs assez mal la corrélation qui pourrait exister entre la nationalité et les prédispositions physiques de divers groupes d'Européennes.
C'est dans l'éducation, dans les possibilités que l'on donne ou que l'on refuse aux petites filles d'évoluer harmonieusement vers une sexualité consentie, dans l'idée que la société leur propose de l'amour et qu'il leur faut ensuite accepter de confronter avec la réalité, que se trouvent la source de leurs difficultés et l'origine de leur comportement, la faculté qu'elles ont ou qu'elles n'ont pas d'ajuster leur conduite aux conditions de vie qui leur sont faites.

Petites filles mal informées — mais non sous-informées — leur curiosité précoce est très tôt alimentée par les camarades de classe, les conversations surprises et mal comprises, les réponses parfois saugrenues des parents à leurs questions.
Une notation intéressante : les enfants qui ont vécu à la campagne et qui ont été en contact avec les animaux ne sont pas mieux instruits que les autres, car il semble qu'ils n'établissent pas de liaison entre la sexualité humaine et celle des bêtes.
Le véritable choc — celui qui laisse parfois des traces profondes, voire ineffaçables — c'est celui qui est ressenti lorsque la petite fille est contrainte de procéder à une assimilation entre ce qu'elle a plus ou moins découvert et les relations qui unissent son père et sa mère.
Les confidences, sur ce point, sont nombreuses. Ce que la petite fille ressent, ou ce qu'elle refoule à ce moment-là, souvent aggravé par les notions de « péché », de « saleté », que lui inculque son entourage, peuvent la laisser quasi infirme pour l'avenir.
L'adolescente semble le plus souvent préparée par sa mère à « se défendre », mais sans que le sujet soit franchement abordé.
« Maman m'a toujours dit qu'il fallait se méfier de tous. »
« Je ne voulais pas être exploitée... »
« J'avais une peur panique des hommes... »
« La répulsion l'emportait régulièrement... »
Cette « défense » présentée comme nécessaire, mais sans explication, aboutit soit à une véritable peur de la féminité, soit à des conséquences moins graves — certains diront : heureuses — mais assez effrayantes. Selon l'horrible expression d'une jeune femme interrogée, il convient de « préserver son capital ». Selon une autre : « Une fille, c'est comme les bouteilles d'eau de Vichy. Ça se vend cacheté. »

Bref, il semble que les jeunes filles ne soient sommées de se préserver qu'à cause du « péché » ou de leur valeur marchande. « La virginité est importante. Ça montre qu'on n'a pas été trop volage. C'est une garantie. »
Aussi, lorsque la jeune fille est troublée, sollicitée, on la voit totalement solitaire devant la décision à prendre et démunie de toute armature morale.
On lui a dit : « L'acte d'amour est laid, dangereux, coupable. »
On ne lui a jamais dit : « L'acte d'amour est beau, mais il est grave ; tu ne l'accompliras jamais sans engager quelque chose de toi-même.
Donne-toi, mais ne te prête pas. Ne te galvaude pas. »
Que décide cette jeune fille pressée par un homme ou par son propre émoi ?
63 % des femmes interrogées ont répondu qu'à leur avis « beaucoup de jeunes filles font des bêtises ». Parmi les plus jeunes, une sur deux a déclaré qu'elle n'était pas arrivée vierge au mariage.
26 % des femmes considèrent que cela est « répréhensible », 49 % que cela est « malheureux ».
Mais il semble que l'on assiste, de ce côté-là, à une évolution très nette et que les jeunes filles envisagent aujourd'hui l'aventure prénuptiale avec d'autant plus de sang-froid qu'elles accordent de l'importance au mariage.
Car le mariage demeure à la fois le but, le moyen le plus évident et le plus naturel d'insertion dans la société, le seul moyen de promotion sociale.
Que des « accidents de parcours » les détournent d'un but qu'elles ne se cachent pas de poursuivre et que tout les encourage à poursuivre, c'est une autre affaire. A l'origine, le but est clairement conçu, dès l'enfance.
Moins d'une femme sur deux considère que le « grand amour existe » (44 %). 71 % considèrent qu'elles ne l'ont pas vécu et semblent se faire une raison.
Aux termes de l'enquête, la certitude de l'existence du « grand amour » se rencontrerait essentiellement parmi les femmes d'un niveau d'instruction élevé. La notation, si elle est fondée, est intéressante pour diverses raisons.
Le niveau d'instruction étant généralement lié au niveau de vie et à l'assurance qu'une femme peut avoir de se débrouiller seule s'il le fallait, la quête de sécurité est peut-être moins âpre.
Le désintéressement chez une femme — et il est bien rare qu'un « grand amour » n'en exige pas de quelque manière — comment ne serait-il pas fonction de ses moyens d'existence ? Des craintes qu'elle peut éprouver ou écarter pour l'avenir ?
On peut aussi penser que tout « grand amour » implique une certaine faculté d'abstraction, faculté directement liée au niveau intellectuel.
Du moins si l'on admet qu'un « grand amour » (mais chacun est en droit d'avoir là-dessus des idées personnelles) n'est pas celui qui triomphe des obstacles — c'est excellent, les obstacles — mais celui qui triomphe du quotidien.

Du mariage, qu'attendent les Françaises ? Les résultats de l'enquête ne laissent sur ce point aucun doute : elles sont en quête de sécurité. Sécurité matérielle, sécurité affective. Les jeunes filles interrogées déclarent : « Le mariage est difficile parce qu'il faut tomber juste. Ce n'est pas du tout pressé. Je préfère m'amuser avant. Il faut trouver le moment adéquat, s'arrêter à temps avant d'être trop vieille pour trouver un mari, s'assurer la fin. »
« J'espère faire un mariage d'amour tant qu'à faire. Je voudrais qu'il soit beau, jeune et assez riche. Qu'il soit sérieux, équilibré. Des enfants ? Plus tard... Ça occupe la vie. Sans ça, qu'est-ce qu'on ferait... »
« Du mariage, j'attends une grande camaraderie chez mon mari avec une communion intense. Puis, enfin, quand même, une certaine tranquillité. »
« Le mariage, c'est avoir un livret de famille, former un couple aux yeux du monde. »

A la question :
— Que faut-il à une femme pour qu'elle soit heureuse ?
il n'y a pas une Française sur quatre qui ait répondu : « L'amour. »
Un bon mari, un bon foyer, un bon ménage sont les réponses les plus courantes.
Et qu'est-ce qu'un bon mari ? « Un homme fidèle », un « homme compréhensif », un « homme qui reste à côté de sa femme ».
Comme élément essentiel de bonheur, 54 % ont cité : « Une vie aisée » et « le confort matériel ».
31 % ont parlé des enfants.
2 % seulement ont fait allusion à la beauté, à la jeunesse.
Voilà qui est clair.
Une fois en possession d'un bon mari, la solitude conjurée et le confort assuré, rien n'interdit de rêver.
Plus de la moitié aiment lire des romans d'amour et les histoires sentimentales que leur prodigua la presse. L'important est donc moins, semble-t-il, de vivre l'amour que de s'assurer, à travers ces récits, qu'il peut exister : foudroyant, torrentiel, triomphant.
S'il se présente, on le reconnaîtra.
Mais sous le vernis romanesque, sous l'attente vague du miracle (« Je rêve parfois de connaître un bonheur parfait et d'être fortunée... » ...« S'échapper de la vie quotidienne, vivre le grand amour avec son héros, sans aucun souci »), un solide réalisme semble ne point prédisposer les femmes à une réelle disponibilité pour l'aventure qui mettrait leur sécurité en question.

A l'intérieur du mariage, il faut cependant noter les manifestations d'une attitude qui paraît assez spécifiquement française et relativement récente : c'est l'exigence de supériorité, mais d'une supériorité que la femme se refuse à reconnaître lorsqu'elle n'existe pas.
« Mon mari, je le vois comme une puissance bénéfique, quelque chose de viril, en qui on peut avoir confiance, sur qui on peut se reposer. C'est apaisant, c'est solide, quelquefois même c'est impressionnant... Une sorte de petit Dieu humain... Quoique, des fois, j'aie envie de le griffer quand il prend son air doctoral pour me faire des reproches... »
« J'attendais du mariage la sécurité morale, matérielle, une fin et un commencement... Une association... A une réflexion, il a pris son air le plus directorial pour m'affirmer qu'il ne s'était pas marié pour changer quoi que ce soit à son existence... Et j'ai commencé à m'ennuyer affreusement avec lui parce que, mon Dieu, l'amour, ça l'occupait un quart d'heure de temps en temps, mais ce n'était pas formidable... »
« Ce que je veux, c'est un homme fort. Mon mari ne peut pas l'être à mes yeux. J'aurais horreur d'être battue. Mais j'aime sentir qu'on puisse me battre. »
« Je le trouve supérieur à moi, sinon je ne l'aurais pas aimé. »
« Je donne mon opinion, mais c'est lui qui décide. Ça ne m'aurait pas plu d'avoir un mari qui se laisse mener. »
« Mon mari était très intelligent, beaucoup plus instruit que moi. J'étais en sécurité avec lui. Il était fort. L'uniforme me plaisait. »
« La bagatelle, on la trouve partout. Mais un homme... J'aime que l'on me supporte. Je ne veux pas tenir la laisse. »
« Je préfère, oui, me sentir inférieure ; l'homme est le chef malgré tout. Attention ! dans mon intérieur, j'entends mener ma barque. »
En bref, on peut dire que les Françaises continuent à se faire de l'homme l'idée la plus flatteuse, mais que lorsqu'il ne coïncide pas avec cette idée, elles ne manquent pas de s'en apercevoir. Ce qui, compte tenu de leur évolution intellectuelle, pourrait bien leur rendre la vie et le choix d'un compagnon de plus en plus difficiles...
En même temps, celles qui se disent heureuses n'apparaissent nullement soumises ou dociles, mais au contraire satisfaites dans la mesure où elles sont « reconnues », admirées, considérées, appréciées.
Plus l'homme leur semble « supérieur », plus l'attachement et les égards qu'il manifeste à sa femme donnent à celle-ci le sentiment de son propre prix.
Il n'y a là rien de bien neuf, certes, sinon que ce prix tend à être de plus en plus cher.
Il faut noter aussi que le mariage est généralement conçu comme un pas vers l'indépendance et que les jeunes Françaises n'ont nullement dans l'idée d'échanger la tutelle du père contre celle du mari.

Que nous apporte, en définitive, cette enquête ?
1 — Une confirmation de tout ce que nous savons sur l'attitude générale des Français : soif de sécurité, de bien-être, répugnance devant le risque et l'aventure.
Encore qu'il s'agisse là de traits qui passent pour permanents du tempérament féminin et qu'il faille se garder d'extrapoler, cette attitude est assez remarquable lorsqu'elle concerne un domaine où les femmes sont censées être déraisonnables.
2 — Une image de la Française qui peut être considérée comme réconfortante, du point de vue de l'avenir national. Pas de lyrisme, peu de romantisme, la tête sur les épaules... Les Françaises ne semblent pas plus prédisposées que leur mari à ovationner un dictateur.
3 — Une certitude : la masse des femmes continuent à être entièrement déterminées par les hommes et tiennent le mariage pour une fin en soi, la plus souhaitable, la plus honorable.
La femme n'a ni ne cherche à avoir d'existence sociale autrement qu'à travers l'homme. Cependant, à l'égard de cet homme, elle est de plus en plus exigeante.
4 — L'enfant est accepté, choyé lorsqu'il arrive, souvent idéalisé avant le mariage, mais lorsque la maternité se multiplie, elle est ressentie comme un appauvrissement de la vie intérieure et extérieure plutôt qu'un épanouissement.
5 — L'échec de la morale religieuse — du moins telle qu'elle est enseignée — est flagrant. Elle fabrique moins de vierges que de coupables, moins de bonnes épouses que de femmes frigides. Et si la chasteté volontairement observée peut être source de force et de rayonnement, la frigidité n'engendre que sécheresse.
6 — La vie conjugale est, une fois sur deux, malheureuse. Un mariage sur dix aboutit au divorce. 58 % des femmes considèrent que « beaucoup de mariages marchent mal » et ne subsistent qu'à cause des enfants (70 %) ou des difficultés matérielles que la femme craint d'affronter (40 %).
7 — L'adultère est communément toléré, lorsqu'il s'agit des hommes ; réprouvé lorsqu'il s'agit des femmes. La dépendance économique dans laquelle les femmes continuent à se trouver et à se placer d'ailleurs de leur plein gré, n'est sans doute pas étrangère à cette tolérance à sens unique.
g — Pour une Française sur deux, les relations physiques sont dépourvues d'agrément ou d'intérêt. En revanche, l'immense majorité des femmes qui se disent heureuses mentionnent, sans autre commentaire, le rôle que la patience, la science, la tendresse d'un homme ont joué dans leur vie.
9 — Le mariage est considéré comme une chose sérieuse, qu'il faut essayer de réussir en mettant tous les atouts dans son jeu. Lorsqu'il est réussi, il a vraiment le caractère d'une association où chacun respecte et admire l'autre. Bien qu'il n'y ait aucune revendication « d'égalité » de la part des femmes, il semble que les ménages heureux sont précisément fondés sur une reconnaissante spontanée par l'homme de l'importance de la femme dans le couple et pas seulement dans la maison ou vis-à-vis des enfants.
Ceci semble également assez caractéristique des Françaises : elles veulent obtenir sans demander.
Beaucoup ont conscience d'être « difficiles », « insupportables » et expriment leur gratitude à l'égard de l'homme bon, compréhensif et indulgent à leurs faiblesses.

Est-ce trop d'optimisme ? Sans qu'aucun chiffre, aucune enquête étrangère autorise à l'affirmer, je crois, pour connaître un peu quelques autres pays, que les mariages français ratés, les femmes françaises mal embarquées, sont aussi pitoyables que les autres, mais que les couples français, lorsqu'ils sont harmonieux, le sont plus que les autres.
L'évolution des femmes est lente, très lente. C'est vrai. Mais dresser les femmes contre les hommes, à cinq ans ou à vingt-cinq, c'est bien le pire service qu'on puisse leur rendre.
Leur enseigner, doucement, à prendre conscience de leurs propres virtualités, de leurs propres forces, à ne jamais se considérer comme des sous-produits de l'homme, mais comme un produit différent, ni supérieur ni inférieur : simplement, incomparable ; leur épargner la maternité forcée ; leur permettre la maternité souhaitée dans des conditions matérielles qui ne les transforment pas en bêtes de somme ; tout cela ne saurait s'accomplir qu'avec les hommes, que par les hommes, non contre les hommes. Ils sont bons. Ils sont indulgents. Les femmes heureuses vous le disent.
Et puis cette liberté, cette autonomie, cette volonté d'être reconnue dans la plénitude de ses facultés qui animent une petite fraction de femmes, trop faible numériquement pour apparaître dans une enquête, mais assez remuante pour que personne n'en ignore l'existence, il faut apprendre aux filles à en supporter le poids avant que de les en charger.
Ce que, à l'issue de cette enquête, on voudrait crier aux parents qui ont aujourd'hui une petite fille à leur foyer — car pour eux les jeux sont faits — c'est que le pire malheur n'est pas d'être dupe, c'est d'être avare.
Faites que vos filles soient capables d'amour. Ces petites personnes crispées sur « leur capital » ou sur les portes de l'enfer feront peut-être un bon placement ou des nonnes adéquates, mais ne pourrait-on tenter de leur enseigner plutôt le respect d'elles-mêmes ? Leur donner, de leur propre personne, du rôle des femmes, de ce que les hommes attendent d'elles —la médiation avec la vie — une idée assez noble pour qu'elles y puisent la force de se garder du sordide et le courage de tout risquer lorsque le garçon leur en paraît digne ?
Et si vous leur donniez, de surcroît, un bon métier...

Mardi, octobre 29, 2013
L’Express