L'enfant bas de laine du bonheur

Injonction à la maternité. Eloge de l'enfant, adressée aux femmes qui refusent d'en avoir invoquant des prétextes spécieux
— Vous avez un enfant ? Comme vous avez de la chance...
Cette phrase, je l'ai entendue dans la bouche de presque toutes les femmes et de la plupart des hommes qui n'en avaient pas.
Devant un petit enfant qui sourit, il semble que les plus durs s'attendrissent, que les plus égoïstes se sentent capables d'abnégation, que chacun se trouve pauvre de n'en pas avoir. Mais l'enfant passe et l'impression s'efface...
Une grande enquête s'organise pour rechercher les causes principales de la dénatalité qui sévit dans notre pays. Parmi les motifs essentiels qui ont été retenus, je relève ceux-ci : les femmes coquettes redoutent de perdre la ligne ; peur des souffrances de la maternité.
Franchement, on croit rêver. Se peut-il qu'il existe encore des femmes assez sottes pour croire qu'elles n'ont pas été créées pour mettre au monde des enfants, pour imaginer qu'elles risquent de flétrir leur beauté dans cet accomplissement normal de leurs fonctions humaines ? Elles n'ont pourtant pas peur de manger, de boire, de rire. À ces femmes, je voudrais dire :
La ligne, l'élégance, la grâce passent pour être l'apanage des vedettes de la scène et de l'écran. Trouvez-vous que Viviane Romance soit déformée, qu'Annabella soit abîmée, que Marlène Dietrich, Rosine Deréan, Josseline Gaël, Madeleine Robïnson, Lucienne Boyer aient perdu la ligne ? Cependant, elles ont toutes des enfants. Elles n'ont pas fait appel à des maîtres de la science et de l'esthétisme, à des masseurs, à des remèdes coûteux puisqu'elles étaient, pour la plupart, de petites comédiennes sans gloire et sans argent lorsque leurs enfants sont nés.
Or, ces jeunes femmes représentent aujourd'hui, chacune dans le style qui lui est propre, l'idéal de la beauté féminine de notre époque, et peuvent affronter sans crainte les plus hardis déshabillés. Vous voyez que cela ne leur a pas si mal réussi !
Et puis, à 50 ans, à 55 ans, que resterat-il de la ligne, du corps que vous aurez si jalousement préservé? Votre vie sentimentale sera éteinte, vous aurez encore de longues années à vivre, des années vides parce que vous n'aurez pas su créer à temps de quoi les emplir. Dans les jours creux que vous connaîtrez alors, vous regarderez avec envie celle de vos amies dont la vie frémira encore au rythme de celle de ses enfants, qui tremblera pour un examen, qui choisira la robe unique du premier bal, dont le cœur se réchauffera chaque jour à la flamme haute et pure de la tendresse.
Contrairement à la légende, les femmes égoïstes ne sont pas celles qui ne veulent pas avoir d'enfants. Ce sont celles qui en ont et qui, ainsi, préparent leur avenir. Seulement les autres ne le savent pas.
L'enfant, c'est le bas de laine du bonheur, la tirelire grâce à laquelle vous ne serez jamais pauvre de joie et d'amour.
Quant aux souffrances de la maternité, il suffit de penser que les milliards de femmes qui les ont endurées les ont oubliées quelques jours après, pour ne pas trop les redouter. Il paraît que beaucoup de jeunes femmes s'effrayent à la perspective d'être souffrantes, enlaidies, immobilisées plusieurs mois. Une telle épreuve peut comporter le minimum de désagréments, si la femme qui la subit ne se prend pas trop au sérieux, si elle n'exagère pas l'importance et la gravité de ses malaises, si elle sait conserver sa bonne humeur et ne pas créer autour d'elle un climat de maladie, si elle sait être lasse avec simplicité au lieu de l'être avec emphase, si elle n'oublie pas d'être coquette et de s'habiller avec soin.
Il est d'ailleurs impossible de ne pas remarquer que si certaines femmes sont mécontentes d'attendre un enfant, il n'en existe pas qui regrettent ensuite de l'avoir eu.
Et rien n'est plus significatif que ce geste éternel et charmant de tous les pères et de toutes les mères du monde, lorsqu'on leur demande des nouvelles de l'enfant nouvellement né : ils tirent un portefeuille, ouvrent un sac et vous présentent avec un air de fausse modestie les photos qu'ils ne manquent jamais de porter avec eux.
Si l'un d'eux a été photographié avec son enfant dans les bras, son visage est illuminé d'un merveilleux et naïf orgueil.
Le bébé, pourtant, vous semble banal ? Parfois même fort laid et ne justifiant pas une telle vanité ? C'est que vous n'avez jamais eu le plaisir de chercher, sur un visage d'enfant, un reflet de votre visage, que vous n'avez jamais songé en regardant votre fils à la carrière magnifique que vous avez peut-être ratée mais que lui ne manquera pas de faire, c'est que vous n'avez pas d'enfant. Comme vous êtes à plaindre !

Mardi, octobre 29, 2013
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