Le PS présentera 167 femmes aux prochaines législatives : Lettre à une candidate

ils réserveront, en mars 1998, 30% des circonscriptions à des femmes. Pour saluer ce coup d'audace, réalisation d'une promesse de Lionel Jospin, Jean Daniel cède cette semaine la place de son éditorial à Françoise Giroud. Et celle qui fut ministre de la Condition féminine avertit celles qui vont entrer dans l'arène de ce qui les y attend, pour le meilleur et pour le pire
Ainsi, Madame, vous allez être candidate. Candidate du Parti socialiste à la députation, une parmi 167, avec une vraie chance d'être élue puisqu'une quarantaine de «bonnes» circonscriptions seront réservées aux femmes. C'est peu de dire qu'il s'agit d'un événement. Tant de luttes pour en arriver là... Bien sûr, on aurait préféré qu'aucun quota ne soit intervenu dans l'affaire tant ce système appelle de réserves. Mais la résistance du corps politique est telle qu'il faut bien le violer un peu. Votre première épreuve, et non la moindre, sera de faire campagne. Là, n'ayez pas d'illusions. Si vous êtes jolie, on vous le reprochera. Si vous ne l'êtes pas, on vous le reprochera aussi. Sachez qu'on ne vous regardera jamais avec les yeux de l'indifférence. Si vous avez trop d'assurance, vous serez suspecte. Si vous en manquez, vous le serez aussi. Votre vie privée sera fouillée, votre passé scruté, on ne monte pas au mât de cocagne avec une culotte sale, disait Pierre Mendès France. Les attaques venant du camp de vos adversaires seront basses, et vous mèneront au bord des larmes. Alors, vous pleurerez parce que vous êtes une femme et pas un robot. Les campagnes électorales sont dures pour les hommes aussi, mais jamais de la même façon. A vous, on ne passera rien. Mais vous avez de l'ambition puisque vous avez décidé d'entrer dans la carrière. C'est elle qui vous aidera à vous tenir droite sous les coups. Mettons, par hypothèse, que vous soyez élue. Vous éprouverez un moment de joie intense. Etre élue, c'est être préférée, quoi de plus gratifiant? Et puis viendront les petites satisfactions, cette cocarde sur votre voiture qui vous évitera les contraventions, par exemple. Et puis viendra le temps des désillusions. Quand on entre en politique, c'est dans l'espoir d'y faire «quelque chose», de participer activement à la vie du pays, d'y jouer sa partie. Rien de tel ne vous attend, en tout cas dans les premiers temps de votre carrière. Plus tard, vous serez peut-être intégrée à une commission, là où se fait le vrai travail d'élaboration des lois, beaucoup plus tard... Au début, vous serez réduite à écouter parler les autres et à voter comme votre groupe. Il arrive que ce soit frustrant. Peut-on imaginer que, dans une Assemblée où se trouveraient plus de cinquante femmes au lieu de cinq actuellement, elles puissent sur certains sujets former une majorité trans-partis pour infléchir un vote? Ce n'est pas impensable. On verra. Mais votre vrai travail, ce n'est pas à l'Assemblée qu'il se fera, c'est dans votre circonscription. Ce n'est pas tout de la conquérir, il faut encore la garder. C'est-à-dire y passer ses samedis et ses dimanches, faire les marchés, embrasser les enfants, caresser les chiens, remplir une fonction d'assistante sociale supérieure, avoir une oreille pour les récriminations de tous, une autre pour les malheurs de chacun, des solutions aux problèmes insolubles de logement et d'environnement. Et quelquefois, ce sera très lourd. Les Suédois moqueurs, il y en a, prétendent que dans l'avenir les hommes ne voudront plus faire ce métier-là, «bon pour les femmes», et le déserteront pour se consacrer aux tâches nobles, les affaires étrangères, les finances... Ainsi la fonction de député serait-elle dévaluée. Il se peut. Mais au train où nous allons, ce n'est pas demain que nous en arriverons là. Pour l'heure, mettons, toujours par hypothèse, que le PS gagne les prochaines élections législatives et vous choisisse dans son vivier de femmes pour vous faire ministre, parmi d'autres. La mésaventure d'Alain Juppé avec ses jupettes le rendra sans doute vigilant dans sa sélection. L'expérience sera exigée. Peut-être en aurez-vous acquis assez pour avoir le bon profil. Alors, vous entrerez dans les arcanes du pouvoir. Là viendront d'autres découvertes. Le pouvoir, c'est très peu de pouvoir, de liberté dans son exercice, de possibilités d'initiatives. C'en est assez cependant pour que l'on puisse, de temps en temps, «faire quelque chose», et alors, c'est gratifiant. Qu'est-ce qu'un bon profil pour une femme ministre? Pas trop jeune, pas trop séductrice, de l'autorité naturelle, une bonne voix, des compétences dans son secteur. Quel secteur? Là non plus, ne rêvez pas. On ne vous donnera ni l'Intérieur, ni les Finances, ni la Défense, ni l'Education, ni, a fortiori, Matignon. L'expérience Cresson est encore cuisante, dont elle n'est pas seule responsable. Et pourtant il faudra y entrer, dans ces grands emplois, ou ne pas parler d'égalité. Il faut donc s'y préparer, se former, s'instruire, se spécialiser et ne pas végéter sur son banc à l'Assemblée. Le pouvoir changera-t-il foncièrement de nature quand il sera partagé? C'est la grande question sur laquelle on peut s'interroger. Les trois femmes qui l'ont détenu durablement ont fait la guerre. Indira Gandhi, Golda Meir, Margaret Thatcher. Et le moins qu'on puisse dire de la dernière est que ce ne fut pas une sentimentale dans sa façon de gouverner. Quant à nos femmes juges d'instruction, Eva Joly par exemple, elles font preuve d'une pugnacité à déconseiller de se frotter à elles. Ce sont des juges de fer. Aussi bien ne faut-il pas attendre des femmes douceur et mansuétude, mais peut-être une approche différente des problèmes abordés. L'avez-vous remarqué? Les femmes rêvent peu. Ce sont les hommes qui rêvent et construisent des chimères parfois mortelles. L'imagination est chez eux. Les femmes réalisent, elles, pour autant qu'on puisse généraliser. C'est la combinaison des deux qui est bonne, et que nous verrons peut-être à l'œuvre. Une femme, un homme, égaux en droits, en devoirs, en pouvoir. Est-ce pour bientôt? On ne comprend rien à la misogynie particulière du corps politique si l'on ne comprend pas ceci : la politique c'est, de toute éternité et à travers les siècles, ce qui a commandé la paix et la guerre. C'est-à-dire que, dans l'inconscient, elle touche au sacré. Et les femmes, impures, ne doivent pas toucher au sacré. Pourquoi croyez-vous qu'avec la politique c'est le religieux qui soit refusé aux femmes? Mais là aussi, une révolution est en train de s'accomplir. La gestion a envahi la politique. Et la gestion, justement, c'est l'affaire des femmes. Voilà, Madame, les petites choses que je voulais vous dire au moment où vous allez entrer dans l'arène. Qu'elles ne soient pas pour vous décourager, au contraire. Bon courage! Mais du côté des femmes, c'est toujours le courage qui manque le moins... F. G.

Jeudi, décembre 5, 1996
Le Nouvel Observateur