Le printemps des jeunes filles

Réflexion autour de la proposition de loi en faveur d'un service militaire féminin. FG contre-argumente en exposant l'existence d'un service déjà permanent qui tient au bon fonctionnement du foyer.
Pourquoi pas ? Pourquoi les jeunes filles ne seraient-elles pas astreintes, entre 16 et 20 ans, à douze mois de service national ? La proposition de loi qui vient d'être déposée par M. Pierre Buron, professeur de philosophie et député de la Mayenne, mérite, en tout cas, d'être étudiée. Il semble qu'elle le sera.
Le ministère des Armées est déjà en train de procéder à une enquête auprès de tous les pays étrangers pour savoir où et dans quelles conditions un tel service existe aujourd'hui. Il est obligatoire en Chine et en Israël. Facultatif en Grande-Bretagne, au Canada, en Australie, au Danemark, en Tchécoslovaquie. A Cuba, Fidel Castro a demandé qu'un entraînement militaire soit imposé à tous, filles et garçons.
M. Buron n'envisage nullement, quant à lui, de faire participer les jeunes Françaises à une éventuelle défense du territoire. Il s'agirait plutôt de recruter une main-d'œuvre bénévole, capable d'assurer des tâches d'assistance sanitaire et sociale. En uniforme, mais non en caserne, chacune étant mobilisée sur place et restant hébergée par sa famille.
Une « classe » représenterait environ 500 000 recrues.
On ne saurait dire qu'une clameur d'enthousiasme est montée des profondeurs de la nation pour saluer l'idée du député de la Mayenne. Ni, d'ailleurs, un cri d'horreur. Un grain d'ironie par-ci, un grain de scepticisme par-là, et puis quelques réactions spontanées, favorables ou hostiles.
Les féministes farouches, vigilants à défendre l'égalité des droits entre les deux sexes, y voient une façon insidieuse de codifier une fois de plus l'inégalité. Aux uns la mitrailleuse ; aux autres le thermomètre.
Les anti-féministes farouches, non moins vigilants à veiller sur la féminité, comme s'il s'agissait d'un objet que l'on peut égarer par distraction ou conserver par détermination, y voient une façon insidieuse de ratifier un principe d'égalité. Celle des devoirs civiques, sinon celle des droits.
Au risque de faire hurler les uns et les autres, disons que, dans cette affaire, l'égalité ne paraît pas plus menacée que l'inégalité.
Une autre réserve vient à l'esprit. C'est que, au long de leur existence, l'immense majorité des femmes assure déjà un « service » individuel. Pour peu qu'on leur en marque, chez elles, quelque gratitude, elles s'en acquittent sans gémir et y trouvent même quelques joies. Nourrir et protéger la vie, cela répond à un besoin. Pas seulement à une obligation.
Faire de ses mains une tarte, un chandail ou des rideaux, c'est échapper à cette parcellisation si déprimante du travail dont l'aboutissement ne vous appartient jamais. L'activité manuelle, si humble soit-elle, contient en elle sa fugitive récompense lorsqu'elle est conduite du début à la fin.
Mais la gratitude ne s'exprime pas toujours. La promotion n'existe pas, au foyer. Ni le plaisir du progrès accompli dans la maîtrise de son métier. On ne fait pas de mieux en mieux un lit, une mayonnaise ou un enfant. Et l'ensemble des tâches qui incombent à l'ensemble des femmes contient un nombre considérable de corvées pures et simples, plus ou moins ressenties comme telles, et qu'elles ne peuvent esquiver, même armées d'une batterie d'appareils ménagers.
Ce « service »-là, elles n'en sont à peu près dispensées que pendant quelques années, celles qui précèdent le mariage et la maternité. Même lorsque leur aide est requise « à la maison », le poids de cette maison ne leur incombe pas ; 16 ans, 18 ans, 20 ans, c'est l'une des rares périodes de la vie où les filles sont privilégiées par rapport aux garçons. Où elles peuvent rêver leur avenir, et choisir leurs études sans trop se soucier de l'application pratique qu'elles pourront faire des connaissances acquises. Sans doute devrait-on s'en soucier pour elles, attacher autant d'importance aux études et à la formation professionnelle des filles qu'à celles de leurs frères, leur donner un vrai métier ou les moyens d'y accéder. Mais le fait est que la pression familiale et sociale ne s'exerce pas avec la même force. Pas encore.
Les petits garçons savent qu'un jour il leur faudra gagner leur vie, celle de leur femme, celle de leurs enfants. Les petites filles ne sont pas encore élevées dans cette perspective, pas le plus grand nombre, en tout cas, il s'en faut.
Qu'elles émergent de l'adolescence animées par une vocation, habitées par une ambition personnelle, et elles s'accrocheront pour tenter de la réaliser. Mais on leur tient rarement rigueur de n'en pas avoir, d'hésiter, de flâner au bord de leur jeunesse, alors que les garçons sont, au même âge, harcelés.
Quel âge avez-vous ? Dix-huit ans ? Vous avez donc encore cinq ou six ans pour être aimée, huit ou dix pour aimer vous-même, et le reste pour prier Dieu, dit Musset à la capricieuse Marianne.
À cela près que les étapes, de nos jours, sont un peu plus longues, les choses n'ont peut-être pas tellement changé. Et le printemps des jeunes filles reste le temps de l'auto-contemplation, satisfaite ou morose, c'est selon, dans tous les miroirs, plutôt que de l'ouverture sur le monde.
Soustraire à ce printemps douze mois consacrés à soigner des malades ou à surveiller des enfants, si l'envie vous en manque, si cela doit être éprouvé comme une brimade, ne serait-ce pas un peu cruel ? Elles sont si nombreuses, celles qui n'auront dansé qu'un seul été...
En revanche, si le service national comble un désir : celui d'être utile ; éveille un goût : celui de participer à la vie de la cité, de la mieux connaître, de découvrir la réalité sociale de ses propres yeux, alors, pourquoi pas ?
Une étude approfondie montrerait sans doute qu'aucune femme ne refuserait de consacrer une année de sa vie à la collectivité. Qu'il serait juste, en particulier, de demander à celles qui ont fait des études supérieures aux frais de la nation de les lui rembourser, en quelque sorte, fût-ce pour une faible part, en assurant comme les garçons un an de service bénévole.
Mais ne serait-il pas plus judicieux de leur laisser le choix du moment ?
On ne sert jamais si bien qu'à l'âge où l'on a le sentiment de ne servir à rien. Il se situe en toutes saisons, mais plus souvent à l'automne. Les conseils de révision y perdraient un peu en esthétique générale. Mais les services sociaux y gagneraient beaucoup en efficacité.

Mardi, octobre 29, 2013
L’Express