Le plafond ne suffit pas

Critique le fonctionnement de l'Opéra de Paris (trop peu de représentations, places trop chères pour les étudiants...)
OPERA

Le plafond ne suffit pas

Georges Auric quitte la direction de l'Opéra sur une boutade, dédiée à André Malraux : « Je vais, dit-il, écrire mes Mémoires. Titre du livre : « Antipathies ». Et sur une réussite : « Turangalila », le ballet que Roland Petit a monté sur la symphonie d'Olivier Messiaen. Richesse de la participation et perfection de l'exécution, avec Yvonne Loriod au piano, splendeur des décors de Max Ernst, invention chorégraphique, c'est un spectacle de qualité.
Mais, selon l'étrange tradition qui règne à l'Opéra, sept représentations seulement en ont été données. Et « Turangalila » enterrée, on reprendra ! gaillardement « Coppélia ».
Ainsi en fut-il, il y a quelques mois, de « Turandot », monté à grands frais. Ce fut un triomphe. Mais la cantatrice, Birgitt Nilsson avait été engagée pour cinq représentations. Encore y en eut-il deux annulées par suite d'une grève. Exit « Turandot », avant même que les spectateurs éventuels aient eu le temps d'apprendre par la presse qu'ils seraient bien avisés de s'y précipiter. Caravansérail. On reproche à juste titre à notre scène nationale de pratiquer des prix qui écartent la plus grande partie du public : 40 Francs le fauteuil pour « Turangalila ». Pour sept représentations, elle pourrait aussi bien les doubler. Et pour les spectacles de routine, 4 Francs serait encore trop. Mais qui s'est jamais préoccupé, à l'Opéra, du public ? Et singulièrement du public jeune, qui n'imagine même pas de pénétrer dans ce caravansérail ?
Invité par Roland Petit, parce qu'il écrit les chansons du tour de chant que prépare Zizi Jeanmaire pour l'Olympia, un jeune homme très contestataire, Olivier Bloch-Lainé (le fils du haut fonctionnaire François Bloch-Lainé), a découvert avec stupeur qu'il ne s'agit pas seulement d'un endroit où de vieilles personnes applaudissent mollement « Le Lac des cygnes ».
Mais Roland Petit a demandé en vain que des représentations spéciales à prix réduit soient données pour les étudiants qui, au-delà de la danse, auraient peut-être découvert là la peinture de Max Ernst et la musique d'Olivier Messiaen.
On sait que Jean Vilar, chargé par M. André Malraux de proposer un plan de réorganisation de l'Opéra, s'est soudain aperçu, en mai, que le régime était gaulliste et s'est récusé pour prendre la direction du théâtre. Il remettra cependant au ministre le fruit (coûteux : 500 000 Francs) de ses études en compagnie de celui qui passe pour le meilleur connaisseur du monde en voix : l'attaché culturel de l'ambassade de Tchécoslovaquie à Paris.
Il y a peu de chances pour que ses suggestions, les bonnes comme les moins bonnes, soient retenues. M. Georges Auric parti, après un règne où les créations ne furent pas nulles, mais pendant lequel il ne sut pas remettre de l'ordre dans la maison, l'Opéra de Paris restera, sous la direction intérimaire de M. André Chabaud, non seulement le plus mauvais Opéra du monde, mais le plus mauvais de France. Et quoi qu'en pense M. Malraux, on ne va pas à l'Opéra uniquement pour regarder le plafond, fût-il de Chagall.
Pendant ce temps, Maurice Béjart continuera d'être maître de ballet... à Bruxelles ; Pierre Boulez continuera de diriger en Allemagne, et Roland Petit ira chercher à Ottawa (en 1969) et à Ozaka (en 1970) un corps de ballet et un public.

F. G.

Mardi, octobre 29, 2013
L’Express