Le petit garçon, le jardin et la guerre

Nouveau livre de Gilles Perrault, « Le Jardin de l'observatoire », où l'autobiographie se mêle à la fiction. Destins croisés sous l'Occupation.
Le grand roman sur la Résistance n'a pas encore été écrit. Peut-être faut-il plus de distance pour qu'un écrivain s'en saisisse et la recrée à travers son imagination comme Tolstoï a recréé Austerlitz, Borodino et l'incendie de Moscou.
Le nouveau récit de Gilles Perrault, Le Jardin de, l'observatoire, n'a pas une telle ambition. Il cerne simplement une poignée d'hommes et de femmes, quelques-uns de ceux qui travaillèrent pour le SOE (Spécial Opérations Executives). Comme dans tous ses ouvrages (L'Orchestre rouge, Notre ami le roi), la perfection de l'écriture alliée à la rigueur de l'enquête aboutit à un texte d'une efficacité rare. S'y ajoute cette fois la dimension autobiographique.
Un petit garçon qui louche - l'auteur -, fraîchement renvoyé du lycée parce qu'il est nul en maths, raconte. Il vit à Paris pendant l'Occupation avec sa famille, des avocats gaullistes de la première heure. C'est sous son regard que l'on découvre sa mère, miraculeusement sortie quand la Gestapo vient la chercher, son père embarqué à la place de l'absente, et aussi un certain Alexandre, que la famille héberge, élégant, discret, paré aux yeux de l'enfant de tous les prestiges. Alexandre est Anglais, agent de l'Intelligence Service.
Le récit tresse alors les destinées croisées de quelques agents du SOE, destinées dont Gilles Perrault a remonté depuis tous les fils. Celle d'Alexandre d'abord. Marié avec une Française, il vivait avec elle à Angers. Lorsque la guerre éclata, il s'enrôla dans la Royal Air Force (RAF) puis, en 1941, fut volontaire pour le SOE. Suit le récit de quelques tribulations d'Alexandre, de sa femme, de certains compagnons et cette phrase, si profonde : « Le pire... n'était pas le côtoiement quotidien de la torture et de la mort, mais le sentiment débilitant de ne servir à rien, quand cet événement eut lieu que le temps écoulé et l'amoncellement des récits nous font trouver banal mais que ses acteurs vivaient pour la première fois dans sa bouleversante étrangeté : quelques heures après la diffusion par la BBC du message transmis à Londres par Alexandre, un bombardier s'envola vers la France et, guidé par le clignotement de pauvres loupiotes, lâcha sur une prairie angevine les conteneurs bourrés d'armes que trois hommes et une femme rassemblèrent à la hâte pour les transporter jusqu'aux caches. »
Alexandre tombe dans un piège. Il a tenu en France un an et cinq jours. Torturé, il sera exécuté au camp de Mauthausen en septembre 1944. Ce n'est que l'un de ceux dont Gilles Perrault trace le portrait avec tendresse. De drôles de pistolets, parfois. La plupart seront exécutés, pendus avec une corde de piano pour que l'agonie soit plus longue.
L'étonnant est l'histoire de sa mère. On a dit que son père avait été emmené par la police à sa place. Que fait-elle, armée de son seul courage ? Elle se présente à la Gestapo de l'avenue Foch, de sinistre mémoire, et dit : « Il paraît que vous me recherchez. Vous avez arrêté mon mari. Je n'y comprends rien. En tout cas, me voilà. » Elle est tombée sur un jeune SS ahuri par ce qu'il entend. Il l'interroge vaguement et conclut : « Bon, vous pouvez rentrer chez vous.
- Et mon mari ?
- Je vais le faire libérer. »
Une histoire extraordinaire. Le petit garçon en concevra la certitude que sa famille est invulnérable. Mais, quand il la retrouve, regroupée autour du père, il se demande : « Est-il possible qu'il ne me reproche pas mon renvoi du lycée ? » Le texte est serré, sobre, juste. C'est excellent.

Mardi, octobre 29, 2013
Le Figaro