Le petit chat est mort

Autour de trois anecdotes faits divers : la création d'une école pour enseigner aux femmes « leur mise en valeur rationnelle et méthodique », l'assassinat d'une femme par son époux et l'histoire d'un homme qui monnaie ses relations sexuelles avec les femmes.
QUELLES nouvelles ? Cerdan est battu, Trénet est détenu, Guitry s'est tu, le petit chat est mort... Bon. Et la petite Agnès ? Elle ne va guère mieux.
« L'Ecole des Femmes » n'est plus une pièce, c'est un appartement où un monsieur grisonnant a entrepris d'enseigner aux femmes « leur mise en valeur rationnelle et méthodique ».
Il était temps, il était grand temps. Si Mme Schneider l'avait rencontré, ce bienfaiteur, peut- être serait-elle encore de ce monde?
Mme Schneider est cette douce Bruxelloise que son mari, petit commerçant pessimiste, fit passer de vie à trépas pour réduire ses frais de ménage. Je dis « pessimiste » parce que, prévoyant des échéances plus difficiles encore, il s'en sépara, à regret, mais à temps pour avoir de quoi lui assurer un enterrement convenable.
Ce n'est pas qu'elle avait un gros appétit, mais en multipliant le prix du beurre par celui d'un petit tailleur new look, on s'aperçoit bien vite qu'aucun honnête homme ne peut plus entretenir décemment une honnête femme.
Les honnêtes femmes sont donc acculées à cette angoissante alternative : proposer à leur mari comme Mme Schneider de leur faire passer définitivement le goût du pain, ou entreprendre, moyennant 5.000 francs, leur « mise en valeur rationnelle et méthodique », grâce aux dix-neuf conférences que le directeur de cette nouvelle école de femmes organise à leur intention pour leur enseigner à la fois le sexappeal, la cuisine et l'art de réussir dans la vie, le tout étant inséparable.
Hélas ! sans attendre que de telles conférences les transforment en capiteux cordons bleus, capables d'entraîner la capitulation de capitalistes aux portefeuilles capitonnés, d'aimables Perpignanaises avaient entrepris à leur manière leur mise en valeur rationnelle grâce à une autre méthode : le radada.
Le radada est le nom délicat qu'un joyeux sexagénaire de la région, M. Gabriel, donnait aux divertissements nocturnes dont il régalait ses amis et lui-même.
Dans sa propriété de Rivesaltes, M. Gabriel mettait en scène des tableaux vivants suivis de danses au son du tam-tam, le tout interprété par d'honorables dames du voisinage que seule la dureté des temps poussait au radada.
Joyeux mais organisé, M. Gabriel avait fixé un tarif par catégorie, 3.000 francs la séance de radada pour les dames de la catégorie A, c'est-à-dire de 21 à 30 ans ; 2.000 francs pour la catégorie B, de 30 à 35 ans. 500 francs pour la catégorie C, de 35 à 50 ans.
Grâce à quelques séances mensuelles, les amis de M. Gabriel pouvaient s'acheter des bas nylon, payer leur gaz et revenir de temps en temps avec un poulet pour dîner en affirmant à leur mari que, selon la formule consacrée, elles l'avaient trouvé ''pour rien et en solde ''.
Tout allait pour le mieux et à la satisfaction générale, lorsque la police, toujours curieuse, vint tarir cette source de revenus et de réjouissances si généreusement dispensés par M. Gabriel.
Vingt-huit inculpées réfléchissent maintenant au danger de « se mettre en valeur rationnellement » sans cours de perfectionnement préalable.
Joyeux mais prudent, M. Gabriel ne recrutait pas parmi les mineures. Mais celles-ci ne sont pas moins désignées pour recevoir quelques précieux enseignements. Par exemple : Ginette G... allait avoir seize ans le soir où son patron, M. Eeckman, assureur de son métier, lui confia son appartement et ses deux enfants pour partir en week- end.
Seize ans... L'âge de Juliette. Elle trouva Roméo au square St-Pierre et l'engagea à venir fêter dignement cet anniversaire à domicile et en compagnie de quelques amis.
La cave de M. Eeckman aidant, huit jeunes gens s'employèrent à prouver à tour de rôle à une autre ingénue de dix-huit ans, Yvonne, qu'elle était digne d'hommages. Ginette regardait...Elle ne vit cependant pas les jeunes gens emporter les bijoux de l'assureur dont on espère qu'il était assuré.
Naïve Ginette, naïve Yvonne ! Que n'ont-elles connu le monsieur grisonnant, qui veut faire le bonheur des femmes ! Car, n'ayant pas les mêmes raisons que M. Gabriel de se méfier des mineures, il a fondé, en même temps que l'école des femmes, l'école des filles où les adolescentes pourront apprendre à exploiter méthodiquement les ressources de leur personne pour « rayonner en société et donner l'impression d'être cultivées ».
Diplômées en « savoir-faire féminin », les femmes désormais ne redouteront plus un avenir dans lequel les hommes admiratifs leur demanderont, ravis :
— Et qu'est-ce qu'on vous a encore appris à l'école ?

Mardi, octobre 29, 2013
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