Le pari de M. Mollet

Critique de la politique gouvernementale pour traiter du Moyen Orient
Le président du Conseil et les quatre ministres français qui ont pris l'initiative de déclencher l'engrenage au bout duquel se trouve la guerre mondiale, ont sans aucun doute de fortes raisons.
L'une d'elles, M. Bourgès-Maunoury l'exprimait mardi soir en ces termes : « Il vaut mieux agir que ne rien faire. »
D'autres, plus puissantes, justifient sans doute aux yeux de M. Guy Mollet une détermination à laquelle n'ont su s'opposer que les staliniens, disqualifiés, et les poujadistes, qui se réservent ainsi la faculté de dépecer le cadavre de la République lorsque celle-ci aura succombé.
Lorsque le feu gagne dans une maison, on peut être tenté de sauter par la fenêtre, en fermant les yeux et en se disant :
« Ou je me casse les reins, ou j'échappe à l'incendie.
Le gouvernement français vient de sauter par la fenêtre.
C'est avec passion qu'il faut souhaiter son succès dans l'aventure où il s'est engagé : son succès, rapide, total, tel qu'il se l'imagine. Extermination de Nasser, effondrement de la rébellion algérienne, soumission de tous les peuples arabes, de l'Orient à l'Occident, devant la « nation virile », et admiration conjuguée de l'U.R.S.S. et des U.S.A. qui auront assisté, impassibles, à cet exercice de haute voltige.
Mais les Français sont-ils donc si « virils » qu'ils puissent, le cœur léger affronter la guerre, mais pas la vérité ?
C'est une autre sorte de courage que l'on est en droit d'attendre d'un gouvernement, même, surtout lorsqu'il a si bien échoué dans le choix des moyens qui devaient le conduire au rétablissement de la paix.
Que le président du Conseil dise au peuple français : « La pacification a échoué en Algérie. La capture des cinq chefs rebelles est en train de reconstituer contre nous l'unité des peuples d'Afrique du Nord. Dans l'impasse où nous a conduits une politique qui n'a su être ni de paix ni de guerre, je joue le tout pour le tout...
« Je prends tous les risques y compris celui de faire massacrer toutes les communautés françaises implantées dans les pays arabes, y compris celui, de ne réussir qu'une expédition militaire. Et cette réussite-là, voilà ce qu'elle signifie à plus ou moins longue échéance : la France pétrifiée dans un rôle de veilleur de nuit montant la garde devant une poudrière, la France prise au piège, engluée... s'épuisant à retarder au Moyen-Orient : les explosions d'un nationalisme qu'elle aura elle-même déchaîné. »
On s'étonnerait peut-être que le secrétaire général du parti socialiste compte sur la guerre pour faire la paix, mais du moins rendrait-on hommage à sa franchise.
Mais qu'en une séance où le Parlement français s'est déshonoré par son silence peureux (au moment où la moitié du Parlement anglais refusait sa confiance à M. Eden), on parle aujourd'hui d'aller « rétablir la paix au Moyen-Orient », que M. Jean Dides encourage M. Guy Mollet à soutenu la vaillante petite nation d'Israël, que l'on déguise ce coup de dés où l'on joue avec la vie et la mort de milliers d'hommes, en démonstration pacifique de force généreuse, c'est le crime contre la vérité, c'est le crime contre la nation.
Oui. il faut souhaiter passionnément que M. Guy Mollet soit heureux au jeu, car l'enjeu de sa partie c'est la France.

Mardi, octobre 29, 2013
L’Express