Le mystère de Chimo

Lila dit ça d'un auteur inconnu. FG décrit la traque de ce mystérieux auteur par son éditeur.
Le mystère Chimo

Il a écrit une belle histoire d'amour entre un beur et une jolie blonde, Lila. Mais qui est donc Chimo ?

Olivier Orban, l'éditeur, reçoit il y a quelques semaines de son avocat un manuscrit.
« Lisez-le, dit-il, je crois qu'il vous intéressera.
- Qui est l'auteur ?
- Un certain Chimo. » Nom inconnu.
Le manuscrit se présente sous la forme de cahiers d'écolier Clairefontaine, l'écriture est banale, plutôt appliquée. Le tout, qui ne fait pas deux cents pages, est intitulé Lila a dit.
Orban lit et s'emballe. Sensibilité, couleur, émotion... Un érotisme sans vulgarité. Il aime ce livre et décide de l'éditer.
Mais qui est l'auteur ?
L'avocat reste bouche cousue. Il n'a pas le droit de le nommer.
Orban communique le texte à une série d'éditeurs étrangers. Ils sont tous preneurs, y compris les Américains. Mais qui est l'auteur ?
Première hypothèse : c'est un écrivain français qui réédite le coup de Romain Gary et se dissimule sous le nom de Chimo. Une imposture, donc. A l'appui de cette hypothèse, le talent, indiscutable, une habileté dans la construction quasi professionnelle, des métaphores heureuses.
Seconde hypothèse : un jeune beur doué. Car le livre paraît écrit par un beur, qui habite une cité. A l'appui de cette version, une authenticité dans les sentiments, une vérité dans le ton... Si c'est faux, c'est bien imité ! Mais pourquoi l'auteur se cache-t-il ? Il est en prison peut-être. Ou s'agit-il d'un immigré clandestin ? L'avocat reste toujours bouche cousue.
Conscient d'être possiblement victime d'un canular, Olivier Orban cherche des assurances. Il soumet les cahiers Clairefontaine à une graphologue. Résultats non concluants. Il interroge de meilleurs spécialistes que lui de la vie des cités. Ceux-ci ne décèlent rien de suspect.
Tout cela est bien beau, mais il serait plus tranquille s'il tenait ce Chimo pour lui faire signer un contrat en bonne et due forme. Il insiste, promet le secret. Pas de Chimo en vue. Alors bon, tant pis, il aime le livre, il fonce. Lila a dit sera en librairie à la fin du mois.
Disons tout de suite qu'il ne s'agit pas d'une bluette mais d'un amour fou, celui d'un jeune beur pour une fille de la cité, Lila, blonde comme il n'est pas permis d'être blonde. Une petite putain ivre de son sexe alors que lui est pudique, réservé. Seulement il l'aime, voilà, il l'aime. Alors il fait ce qu'elle veut et elle veut parfois des choses bien étranges, et elle a un vocabulaire bien choquant... Mais entre eux, il y a quelque chose comme de la tendresse.

Tout cela finira mal

Quand elle traverse la cité, montant en danseuse sur le vélo d'homme qu'elle a dû voler quelque part, les garçons la regardent, concupiscents, en ricanant. Ils sont tous un peu voleurs, un peu dealers, un peu pourris... Pas Chimo, même s'il fauche quelquefois. Sa mère a du travail. Lui conduit sa petite sœur à l'école le matin ; il est bon élève, il passe ses loisirs à écrire dans le trou qu'il s'est aménagé, mais il est dépassé par Lila, par le délire érotique de Lila qui ne pense qu'à ça...
Tout cela finira mal. Lila violée par une bande de garçons est laissée pour morte sur un trottoir. Voilà tout. C'est violent, indécent, ça serre le cœur, c'est écrit en beur avec une vraie virtuosité... Mais écrit par qui ?
Romancier chevronné ou clandestin en mal de papiers, en tout cas par un écrivain.

F. G.

Mardi, octobre 29, 2013
Le Figaro