Le mal américain

Portrait politique des Etats-Unis, où les citoyens se montrent depuis l'affaire du Watergate de plus en plus sceptique face à leur dirigeant. Face à un président privé de l'essence de son pouvoir, un peuple divisé, addition de minorités.
IL y a du pathétique dans cet homme nommé Jimmy Carter, qui se frappe la poitrine, invoque l'aide de Dieu, constate son impuissance, s'interroge publiquement sur ses capacités et confond dans un même opprobre ses ministres et la culture pop.
Si sa rhétorique se traduit à bref délai en actions concrètes contre l'inflation qui, comme chez nous, doit beaucoup moins au pétrole qu'à une longue insouciance, il n'est pas exclu que cette exhibition d'humilité doublée d'un sermon lui rende quelque lustre. Les chances, cependant, paraissent faibles.
C'est que le mal américain dépasse son apparente inaptitude à dominer sa tâche.
Depuis l'affaire du Watergate, l'Amérique fait le dur apprentissage du scepticisme. Ce qui fondait là-bas le pouvoir présidentiel, ce n'est pas comme ici la Constitution. Elle a été conçue, au contraire, pour interdire tout excès de pouvoir personnel, et permettre un contrôle étroit de l'exécutif par le Congrès. C'est le charisme de la fonction, et, dans l'Amérique moderne, de ceux qui l'ont exercée. Le charisme, c'est-à-dire, en termes politiques, le rayonnement moral qui suscite l'adhésion populaire.
On imagine mal, en France, la nature du lien qui unissait l'Américain à son président, parce qu'il n'y entrait ni la bigoterie ni la fronde qui se partagent notre ambivalente attitude. Ce lien tenait en un mot : confiance.
C'est cette confiance qui s'est effondrée avec Richard Nixon, après que la guerre du Vietnam, commencée dans la bonne conscience, eut ébranlé la certitude américaine de savoir où était le bien, ou le mal.
Privé, depuis, de l'essence de son pouvoir, le président des Etats-Unis a été réduit à ses limites institutionnelles, c'est-à-dire soumis à un Congrès qui use et abuse de ses prérogatives. Et tout se passe comme si ce qui cimentait le pays avait fondu pour en faire une addition de minorités, de groupes de pression au sein d'une société éclatée.
Cassée, la dure, la féconde, la fière Amérique éclatante de vitalité, qui a créé huit millions d'emplois depuis la fin de 1976, au cours d'une période d'expansion sans précédent ? Sûrement non. Mais atteinte, sûrement.
Toute la question est de savoir s'il suffirait d'un homme à la mesure de sa fonction pour restaurer l'unité spontanée de la nation dans l'effort.
En attendant, l'Amérique a la grippe, l'or a la fièvre et l'Assemblée européenne, épuisée par une petite semaine de travail, est à la plage...

Mardi, octobre 29, 2013
Le Journal du dimanche