Le féminisme dévoyé

À l'approche du rallongement de la Jupe chez les grands couturiers, FG explique que la mode témoigne de l'air du temps. Le temps des jupes courtes, c'était celui d'un féminisme dévoyé.
Encore quelques mois et le spectacle des cuisses offertes au regard devrait avoir disparu.
Tant mieux.
Oserai-je être frivole ? C'est pour une bonne cause, celle d'une grande malade, la mode. L'un de nos couturiers s'est écrié, l'autre semaine : « Nous ne pouvons pas continuer à habiller les femmes comme des putains ! » Ce que disant, il a rallongé ses jupes jusqu'au genou. D'autres ont fait de même. Et les deux étoiles des récents défilés où se présentaient les collections de printemps, Christian Lacroix et Karl Lagerfeld, ont triomphé dans le sage, le sobre, le bon ton, sans renoncer pour autant à leurs petites folies particulières, mais en bémol. Quand on sait quels intérêts sont en jeu, puisque la haute couture continue de commander ce qui se proposera en prêt-à-porter et que la prospérité de celui-ci dépend du désir des consommatrices, on voit que cette affaire d'ourlet est décisive.
Quelques mois et le spectacle de ces cuisses offertes au regard devrait avoir disparu. Sur les créatures divines, longues jambes gainées de noir, ce fut une mode divine. Mais qu'est-ce qui n'est pas divin sur les créatures divines ?

Sur les autres, cuisses grasses gainées de clair, ce fut, à des degrés divers, vulgaire jusqu'à l'obscénité. Mais les modes ne s'installent pas par hasard. Si celle-ci a perduré, c'est parce qu'elle a exprimé l'air du temps, quelque chose comme un féminisme dévoyé - j'ai le droit de montrer mon cul, quelque chose aussi comme un irrespect de soi.
En d'autres termes, ce sont les femmes qui répandent la mode, singulièrement les plus jeunes, ce ne sont pas les couturiers. Eux, ce sont des artistes, ils ont des antennes, ils captent, ils interprètent, ils n'ont aucun pouvoir de décision. Leurs fameux oukases, c'est du vent. Quand ils créent à contre-courant du désir, personne ne s'y plie. Ils se plantent, comme c'est arrivé il y a deux ou trois ans avec leurs jupes battant les mollets. Un fiasco. Les femmes n'ont pas suivi.
On ne saura jamais qui, sous le Directoire, a eu envie, la première, de se montrer nue sous sa robe pour dire que, oui, la terreur, la peur, le sang c'était fini et que le moment était venu de jouir. Mais c'est la plus belle illustration de l'éclosion en quelque sorte spontanée d'une mode. Il y en a d'autres, qu'il serait trop long d'énumérer.
Tout cela pour dire que, loin d'être soumises à la mode, les femmes lui donnent naissance, et que le grand couturier est celui qui, le premier, saisit leur humeur encore informulée, comme Poiret l'a saisie lorsqu'il a fait sauter le corset, comme Dior l'a saisie quand il a inventé le new-look, comme Chanel l'a saisie avec ses tailleurs, comme Saint-Laurent l'a saisie lorsqu'il les a mises en pantalon.
La haute couture avec ses raffinements, sa perfection dans l'exécution, ses ourlets faits à la main est un chef-d'œuvre en péril aujourd'hui. Sa clientèle est trop étroite pour la faire vivre. Ses parfums, ses colifichets, ses pièces rapportées n'y suffisent pas. Il est probable qu'elle ne passera pas le siècle et alors s'éteindra un art qui aura été spécifiquement français, nourri du meilleur de nos artisans. On ne peut y penser sans mélancolie.
... Mais elle a encore quelque chose à nous dire. Cachez ces cuisses que je ne saurais voir... La rue de demain montrera s'ils sont au diapason de l'humeur féminine ou si l'exhibitionnisme moqueur restera le plus fort.

Mardi, octobre 29, 2013
Le Figaro