Le clavecin et le violoncelle

Téléfilm raté consacré à Mozart et cérémonie des adieux de Pierre Mendès France.
LA TELEVISION PAR FRANÇOISE GIROUD

LE CLAVECIN ET LE VIOLONCELLE

A André Malraux qui se flattait de lui avoir révélé la musique. Charles de Gaulle répondit : « Vous avez raison. Autrefois, Mozart, ce n'était pour moi que du bruit. Grâce à vous, je sais maintenant que c'est aussi formidablement emmerdant. » Fût-elle subime, le Général n'aimait pas la musique. Personne n'est parfait. Mais le jugement vaut pour le « Mozart » diffusé par T.F.1, du moins s'agissant des quatre-vingt-dix premières minutes de ce feuilleton de choc, co-produit par seize sociétés de télévision. Si le réalisateur, Marcel Bluwal, que l'on a connu si habile, a pris le départ sur des semelles de plomb, c'est peut-être parce que rien n'est plus emmerdant, comme aurait dit de Gaulle, qu'un enfant prodige sinon un enfant prodige jouant du clavecin.
Belle invention que le piano... Heureusement qu'il a un père, ce précoce et véloce enfant. Et quel père ! Michel Bouquet, si juste qu'on y croirait presque, lorsque, dans le plus pur français, il se dit allemand... Et puis, à la fin du premier épisode, Wolfgang Gottlieb — ce Gottlieb non encore traduit en Amadeo pour l'amour de l'Italie — avait déjà un peu grandi... Alors, ne nous décourageons pas. Les choses vont peut-être s'arranger. Les sept heures et demie de projection à venir révéleront peut-être, entre trois salons dorés et quelques altesses sérénissimes, le petit homme impertinent, farceur, truculent — « Je baise le nez, le cou, la bouche et le visage de ma sœur et, oh ! que ma plume est méchante, aussi le cul s'il est propre » ; le petit homme tendre, avide, puéril, généreux, désinvolte — « J'ai vu pendre quatre coquins sur la place du Dôme. On pend ici comme à Lyon » ; le petit homme flambeur, frivole, adulé, rejeté, haï, calomnié, fraternel, fier et tragique, qui avait du génie et qui le savait ; le petit homme que l'on jeta à trente-cinq ans dans la fosse commune sous une neige si drue que personne, du maigre cortège funèbre, ne suivit jusqu'au bout la dépouille mortelle de Wolfgang Mozart.
Mais quelle entreprise difficile que d'en faire le récit, et comestible par tous publics !
Dans je ne sais quel film, Sacha Guitry montrait un monsieur venant déclarer la naissance de son fils, et on entendait ceci : L'employé de mairie : « Votre nom ? »
Le monsieur : « Hugo. » L'employé de mairie : « Prénom de l'enfant ? »
Le monsieur : « Victor. » Alors l'employé, se levant, respectueusement ému : « Victor Hugo ! Félicitations, monsieur... » C'est tout le problème que pose la série « Mozart » à Marcel Bluwal.
Cérémonie des adieux à Pierre Mendès France, transmise tout au long par Antenne 2. Ah ! pour la mise en scène, ce n'était pas le Panthéon ! De surcroît, les cours, même nobles, ont le défaut majeur de réfléchir le son dont l'écho perturbe alors l'audition. Ni le violoncelle d'un jeune homme solitaire jouant du Bach piqué sur une rondelle de gazon, ni la voix de Mendès France parlant à la jeunesse, celle de 1955, n'en auront été servis. Il est bon, néanmoins, que le Palais-Bourbon ait été choisi. L'effigie géante dominant le bâtiment où siège l'Assemblée nationale, c'était un peu l'hommage du vice à la vertu, mais Mendès France l'aimait, cette Assemblée, même indigne comme elle sait l'être parfois. Et il y eut un beau plan, bref, associant par l'image François Mitterrand au visage attentif de celui auquel il rendait l'hommage de la nation.
Mitterrand avait envie, manifestement, de s'évader parfois du texte qui enroulait son verbe de belles draperies républicaines et d'aller, parole libre, là où une certaine émotion le tirait. Un court instant, il l'a fait, l'avez-vous vu ? Alors, quelque chose d'indéfinissable a fugitivement embué l'écran...

F. G.

Mardi, octobre 29, 2013
Le Nouvel Observateur