Le « Cornuto » magnifique

Le « Cornuto », comédie cynique, satire de la Sicile.
Les ressources du Code Pénal.

« DIVORCE A L'ITALIENNE », film de Pietro Germi avec Marcello Mastroianni.
Comment s'en débarrasser ? Elle avait de jolies hanches rondes, Rosalia, et combien de jeunes filles épouse-t-on pour moins que cela... Mais la vie conjugale dépouille à la longue les plus agréables rondeurs de leur attrait, lorsqu'on les a, si j'ose dire, sous la main.
Le moment vient alors de leur en substituer de nouvelles ou encore de consacrer son énergie vacante à d'autres exercices.
A cet antique problème, les époux ont appliqué à travers les siècles et les civilisations des solutions diverses, diversement tolérées par leurs partenaires et par la société.
Pour Ferdinando Gefalu, baron sicilien enkysté dans sa ville chaude entre des femmes chaudes mais farouches, l'équation se pose en termes italiens : divorce interdit, jeune biche fougueuse, mais récalcitrante à la concupiscence de l'époux enchaîné. Ah ! la vie est cruelle.
En revanche, pour qui sait en user, le Code Pénal est, là-bas, plein de ressources inaccessibles dans nos contrées, ravagées, comme chacun sait, par l'immoralisme. Ainsi, en vertu de l'article 587, « quiconque provoque la mort de son conjoint, de sa fille ou de sa sœur, au moment où l'une ou l'autre entretient des rapports illégitimes et le fait dans un instant de colère suscite par l'offense faite à son honneur et à celui de sa famille, est puni de trois à sept ans de réclusion.» »

Le hic

Avec un bon avocat, un bon dossier et un titre de noblesse, cela peut même s'arranger à moindre frais.
Tuer sa femme, la voilà la solution pratique pour se libérer sans enfreindre les lois de la famille et le sacrement du mariage. Mais il y a un hic : ce n'est pas la perspective de l'assassinat, non. Ferdinando en homme bien-né, n'a pas de ces petitesses. Le hic, c'est que la baronne est obstinément fidèle. Et pas d'offense, pas de colère ; pas de colère, pas de meurtre ; pas de meurtre, pas de liberté. Comment, comment s'en débarrasser ?
Avec de l'ingéniosité, de la persévérance et une grande abondance de loisirs, Ferdinando parviendra à devenir « cornuto ». Toute la ville le saura ; il lavera son honneur dans le sang avec l'approbation générale, puis, veuf glorieux, épousera son appétissante petite cousine avec la bénédiction du curé de la paroisse.
Les conventions sont ce qu'elles sont. L'important, pour un bon citoyen, n'est pas d'en inventer d'autres, mais de se conformer à l'ordre établi en sachant l'exploiter.
Le charme extrême de la comédie réalisée, sans génie, par Pietro Germi sur ce thème, c'est son cynisme rigoureux. Pas un plan, pas un mot, pas un geste qui ne soit dérision. Dérision du mariage, de l'amour, du désir, de la justice, de la religion, des grands sentiments, de la mort enfin. Mais dérision joyeuse, sans amertume, sans acide.
Allons, allons, semblent dire les auteurs, la vie est une farce sans signification et sans avenir ; les hommes sont bêtes à l'étable, quel que soit le décor de l'étable ; ne nous donnons pas le ridicule de nous prendre au sérieux. Le vrai désespoir est toujours souriant. Sourions.
« Divorce à l'italienne » est, en somme, un film à rendre décadent un komsomol. Mais que cela est drôle, parfois, et fourmillant de savoureuses petites cruautés.
Est-ce bien ainsi que l'on se conduit dans l'Italie du Sud, est-ce justement observé, cette maisonnée familiale où l'ancêtre lutine la bonne, ces rangées d'hommes désœuvrés qui contemplent les créatures de sexe opposé comme maquignons aux comices agricoles ?... Il paraît. Peu importe, d'ailleurs ; le ton railleur de la satire va au-delà du présent et de la Sicile.
Calamistré, fat et moustachu, tartiné de niaiserie, assaisonné de morgue, relevé d'un grain de ruse, affligé d'un tic, Marcello Mastroianni fait, de son talent, une éblouissante démonstration en escamotant sa séduction naturelle pour n'être plus qu'un mari blasé. Le mari.

Mardi, octobre 29, 2013
L’Express