L'aveu qui délivre

A quel mal succombent les quarante mille jeunes gens qui essaient chaque année de se suicider? Au non-dit
Quarante mille jeunes gens essaient chaque année de se suicider. Mille cinq cents en meurent. Chiffres inquiétants. A quel mal succombent-ils? Jean-Marie Cavada a tenté de le faire comprendre en observant de près une poignée de 15-24 ans, pensionnaires provisoires du centre Abadie, à Bordeaux, créé il y a quatre ans pour accueillir les jeunes suicidants. Ils étaient tous émouvants, si fragiles avec leur détresse, leur misère, leurs petites phrases courtes et sibyllines pour essayer de dire leur mal de vivre... De ces lambeaux de confidences il apparaissait clairement ce que le psychiatre de l'établissement sait bien : l'appel au secours que lance un suicidant ne peut se déchiffrer qu'à travers l'histoire personnelle de chacun. Il n'y a pas de généralités à en tirer. L'une d'elles, une petite Anabelle qui se taillade les bras et les jambes au rasoir, a confié sa douleur : secret de famille, son père la «touchait» depuis l'âge de 6 ans. Sa mère s'est suicidée, elle voulait mourir «pour souffrir autant» . Délivrée de cet aveu, elle semblait avoir retrouvé la joie de vivre. Une autre dit : «Il n'y a pas de place pour moi dans ce monde.» Une phrase qui revient comme une litanie. Peut-on prévenir le drame, le passage à l'acte de celui, de celle qui «n'en peut plus»? Il faut être attentif au moindre symptôme, surtout reconnaître la souffrance de l'autre, en parler, c'est le non-dit qui tue. Petits visages tendus, souffrance chuchotée, ce document sera, on l'espère, utile à tous ceux qui ont près d'eux un adolescent un peu trop taciturne et qui n'entendent pas assez vite l'appel silencieux qu'il lance. Consacré tout entier à Jean-François Revel, qui vient de publier ses Mémoires, «Bouillon de culture» a été piquant. C'est que, abandonnant la plume du philosophe pour celle de mémorialiste, Revel n'en a pas moins de sel à jeter sur toutes les plaies. Et d'abord celle du communisme, dont il a été un adversaire vigoureux à une époque où ce n'était pas tellement la mode chez les intellectuels. Pourquoi n'a-t-il pas cédé à la contagion? «Parce qu'il m'est impossible de dire qu'une table est blanche lorsqu'elle est noire.» Ce n'est pas une question d'intelligence. «A partir du moment où l'on est enfermé dans un système faux, l'intelligence fournit au contraire toutes les raisons de s'y enferrer...» Il a fait aussi sa crise d'enfermement. C'était à côté de Gurdjieff, dont il fut l'un des adeptes.«Erreur salutaire parce que ça a renforcé ma méfiance.» «Vous êtes spontanément réactionnaire», dit Pivot. Revel réfute et s'affirme de gauche, attaché en particulier à l'égalité. Bourré d'anecdotes et de portraits, son «Voleur dans la maison vide», délectable, irrite ici et là parce qu'il n'y fait pas de cadeau. Ce n'est pas son genre, le cadeau. Quand une table est noire, elle n'est pas blanche. Il se fait des ennemis? Bof! C'est le sort des esprits libres. Il n'y en a pas de plus libre que celui de Jean-François Revel. «Droit d'auteurs»: on s'y passe trop de pommade. Quoi! Pas une critique à adresser à Djian et à ses «Criminels»? Pas un reproche à faire à Robert Sabatier et à son «Lit de la merveille»? Les commentateurs en perdent leur crédibilité. On eût aimé aussi entendre davantage sur son travail Pietro Citati, dont l'ouvrage original sur Proust, «la Colombe poignardée», est une merveille de subtilité. Un livre à ne pas rater si l'on est, si peu que ce soit, proustien. Helmut Kohl à «7 sur 7»: est-ce sa stature, son visage bienveillant? Il a quelque chose de rassurant, cet homme, une passion pour la paix, une passion pour l'unité européenne, une force, mais pas de fanatisme. Des convictions. Son oncle a été tué à la guerre de 14, son frère à la guerre suivante, plus jamais ça... Il dénonce les frayeurs inutiles, les fantasmes : «Nous voulons faire entrer chaque pays dans la maison européenne avec sa culture, sa langue, ses traits propres. L'Union économique et monétaire est le préalable indispensable.» Ce sera pour lui l'accomplissement d'un rêve. N'esquivant aucune question, il a été très bien, M. Kohl. Après quatorze ans de pouvoir, se représentera-t-il aux élections de 1998, alors que sa cote de confiance paraît s'effriter sous le poids du chômage? Sa décision n'est pas prise. Mais à l'entendre, on avait le sentiment qu'il ne pouvait pas y avoir de meilleur partenaire pour la France. F. G.

Jeudi, février 13, 1997
Le Nouvel Observateur