La solidarité entre les femmes

Portrait de Gisèle Halimi d'après sa biographie « la cause des femmes » tout juste publiée. FG mentionne en particulier son combat pour l'émancipation des femmes.
Une sobre passion, un dossier bourré d'exemples précis. C'est la meilleure cause de l'avocate Gisèle Halimi : la libération des femmes.
Dure et forte, Gisèle Halimi l'est-elle autant qu'on le croirait à la lire ? Peut-être. Alors, à l'aube, la petite chèvre de M. Seguin mangera le loup.
Une situation familiale assez particulière l'a mise très tôt en situation de se révolter contre la condition féminine. Résolue de bonne heure à « s'en sortir », et de toutes les manières, elle y est parvenue, dans un métier — celui d'avocat — qui est rude aux femmes.
Un avortement à 19 ans, avec un curetage fait à vif par un médecin moralisateur, un autre après son premier enfant — et il lui faut tenir debout, pendant toutes les audiences d'un procès, avec une sonde dans le ventre — lui ont laissé des souvenirs précis.
Elle ne dit rien de ce que sont les relations d'une fille jolie et pauvre avec les hommes, dans une profession d'hommes. Dommage. Mais sa biographie, brève, n'est qu'une introduction à un propos plus général : la cause des femmes.
Il ne s'agit pas, dit-elle fort bien, de libérer les femmes, mais de leur apprendre à se libérer, ce qui suppose un changement d'ordre culturel, une transformation des attitudes, des conduites, des structures mentales. Un long travail.
Les docteurs marxistes. Maîtrise de la maternité et indépendance économique sont les deux conditions de base d'une authentique émancipation.
De la première, Gisèle Halimi parle avec une sobre passion. Son action personnelle, persévérante et habile, a largement contribué à sensibiliser l'opinion publique aux questions que pose l'avortement clandestin. Sa vie personnelle — elle est la bonne mère de trois garçons — la préserve de faire de la théorie.
Elle raconte avec chaleur l'affaire de Bobigny. Ses dossiers sont bourrés d'exemples concrets, son approche du problème n'est jamais névrotique. Elle n'a pas de compte à régler avec la maternité, se méfie visiblement des « dingues » de l'avortement, femmes et hommes, et poursuit un but concret : une bonne loi.
Le reste de son livre est un peu hâtif, ignore la dimension de l'inconscient, ce qui est bien commode, et pose les jalons d'une réflexion plus qu'il ne l'approfondit.
Bien qu'elle se situe politiquement à gauche, Gisèle Halimi a le goût de l'efficacité et de la réalisation. Sans qu'elle le dise, il semble que le militantisme de parti lui ait donné, de ce côté-là, peu de satisfaction. Alors que son action spécifiquement féminine et la création de Choisir sont largement positives.
Elle est tentée de penser, contre les docteurs marxistes, qu'il faut dissocier la cause des femmes de la « révolution », et que la nature particulière de la domination des femmes par les hommes interdit qu'on la superpose à la lutte des classes. Elle préconise donc un grand mouvement de masse, « où toutes les femmes, quelles que soient leur appartenance politique, leur origine de classe, leur dépendance, se retrouveraient », les structures d'un tel mouvement restant à inventer. Elle jette l'idée, rapidement. « Je cherche », dit-elle.
On l'accusera de « sexisme petit-bourgeois », elle le sait, peu importe. La solidarité entre les femmes n'est pas inimaginable, au contraire. C'est peut-être la voie qui les conduira à se libérer de la domination collective des hommes. Et à libérer en même temps les hommes de la domination individuelle des femmes.

Mardi, octobre 29, 2013
L’Express