La reine a dit non

Chronique littéraire à l'occasion de la publication d'une biographie consacrée à Oscar Wilde par Richard Ellmann.
Richard Ellmann vient de consacrer
une biographie magistrale à Oscar Wilde

La reine a dit non

L'Amérique, Mallarmé, Gide, raffolèrent de ce poète pour qui la provocation fut un vertige.

Il y a cent ans, en mai 1895, un tribunal de Londres condamnait le poète Oscar Wilde à deux ans de prison. Son crime : il aimait les garçons.
A l'occasion de cet anniversaire, un groupe d'intellectuels a sollicité de la souveraine une grâce symbolique. Elle l'a refusée, les faiblesses de la chair, dont sa famille lui offre cependant l'abondant spectacle, lui reste outrage...
Que le pauvre Wilde ait eu du génie, qu'il ait écrit Le Portrait de Dorian Gray et La Ballade de la geôle de Reading, qu'il ait eut des admirateurs dans le monde entier, ne le lave pas du péché de sodomie. On verra, en lisant la biographie magistrale que vient de lui consacrer Richard Ellmann, qu'il en paya cruellement le prix. Non seulement par la prison, mais par la vie d'enfer que lui infligea le plus spectaculaire de ses amants, Alfred Douglas, second fils de lord Queensberry. Un joli monstre dont il ne se déprit jamais complètement et qui fut largement responsable de sa condamnation.
Mais ce n'est qu'un aspect de Wilde, qui ne doit pas dissimuler un personnage étincelant, dont l'Amérique raffola quand il y fit une tournée de conférences, en manteau vert, pour prêcher l'esthétisme, un lys à la main ; dont Paris s'engoua quand il y séjourna, il charma Mallarmé, il envoûta le jeune André Gide, et le laissa pantois en lui confiant : « Voulez-vous que je vous dise un secret... mais promettez-moi de ne le redire à personne. Savez-vous pourquoi le Christ n'aimait pas sa mère ? Parce qu'elle était vierge... » Gide écrira plus tard dans son Journal : « Wilde ne m'a fait je crois que du mal. Avec lui, j'avais désappris de penser, j'avais des émotions plus diverses, mais je ne savais plus les ordonner. » Invité chez Proust, il lâcha : « Comme c'est laid, chez vous... » Toujours vêtu de façon extravagante, toujours à court d'argent, il était provocant, insolent, courageux, généreux.
Quand il sortit de prison, il envoya la maigre somme dont
il disposait à ses codétenus de la veille.
Quand il mourut, « au-dessus de ses moyens » selon son expression, en exil, dans un hôtel parisien, il dit : « Mon papier mural et moi nous nous livrons un duel sans merci. Il faut que l'un de nous deux s'en aille. » Ce fut lui.
Il avait épousé une femme charmante, Constance, et en eut deux enfants qui ne le revirent jamais après sa condamnation. C'était le diable.
M. Ellmann, dont le travail de recherche et d'investigation est impressionnant, a même compté les sermons prononcés en Amérique contre Wilde pendant qu'il purgeait sa peine : il y en eut neuf cent un qui promettaient l'enfer au sodomite. Mais dans le même temps, dans sa geôle, Wilde écrivait le plus beau de ses textes, De profundis.
Sur le quai de la gare où on l'embarquait, menottes aux mains, après son procès, la foule le hua et lui jeta des crachats. Mais n'avait-il pas secrètement aspiré à ce moment de honte, lui qui avait affirmé : « Tout ce que l'on redoute arrive. » Il aurait pu, avant son procès, fuir à l'étranger. Il est resté, courant délibérément à la condamnation.
Le provocation est un vertige. A la pousser toujours davantage sans savoir s'arrêter, on frôle inéluctablement l'abîme. Oscar Wilde y est tombé. Son génie demeure...
N'en déplaise à la reine.

F. G.

Mardi, octobre 29, 2013
Le Figaro