La psychologie de papa

Réagit face aux mesures prises contre les familles des généraux, membres de l'OAS ayant tenté d'assassiner DG. Tente d'expliquer ces procédés mais également les condamne fermement pour leur inefficacité.
Les deux petites filles du général Vanuxem ont été écartées de la Maison de la Légion d'honneur.
Les huit enfants du commandant Saint-Marc sont maintenant à la seule charge de leur mère, qui ne perçoit plus d'allocations familiales, qui ne bénéficie plus du régime de la Sécurité sociale.
Ces enfants ne sont ni plus ni moins dignes d'attention que des milliers d'autres enfants. Sur le plan strictement matériel, leur sort est moins intéressant que celui des neuf enfants de M. et Mme Soudan que l'on vit vendredi soir à la télévision, agglutinés dans une seule pièce, et attendant en vain un logement.
Ceux-ci, dignes, silencieux, irréprochablement tenus, du bébé né prématurément à l'adolescente tuberculeuse (on le serait à moins), dégageaient par leur seule présence sur l'écran une telle émotion que le ministre de la Construction, M. Pierre Sudreau, qui avait accepté non sans courage la confrontation en fut visiblement « choqué ». Au sens propre du terme.

Du moins les filles et les fils des officiers mutins payent-ils le prix des convictions de leur père. C'est, relativement, un sort enviable, plus enviable en tout cas que de payer pour leurs névroses, pour leur misère, ou, comme la famille de M. et Mme Soudan, pour l'indifférence de la société.
Lorsque le malheur frappe des enfants, on est toujours tenté de juger avec le cœur et de les vouloir tous, quels qu'ils soient, d'où qu'ils viennent, secourus, préservés. Mais ces affaires ont un autre aspect dont on voudrait pouvoir parler, dont il faut parler froidement.
Ce n'est pas l'inhumanité et la sécheresse administratives qui président aux mesures dont les femmes et les enfants des officiers mutins subissent les conséquences. C'est au contraire une volonté humaine et délibérée.
Le but ? Il est transparent. Faire hésiter ceux que tenterait à nouveau l'aventure. On peut prendre, pour sol, des risques devant lesquels on recule lorsqu'on craint pour qui l'on aime. Surtout, il semble que notre époque ait soudain découvert l'existence des femmes et la façon dont elles pèsent sur l'engagement politique des hommes.
Femmes musulmanes d'Algérie ou épouses d'officiers français, les pouvoirs publics les manient maintenant comme des tonneaux de dynamite.
Si les uns évoquent avec une nuance d'effroi l'action de « Pasionarias », les autres spéculent, cela est clair, sur l'instinct de celles qui sont chargées de famille, et comptent, en multipliant les « exemples », qu'elles feront poids sur le plateau de la prudence.
Soyons francs : tout ce qui peut contribuer à amoindrir la force explosive des O.A.S., actifs ou potentiels, est souhaitable (outre que ces messieurs ne se soucient guère, eux, de savoir qui se trouve derrière les portes qu'ils arrachent au plastic). Mais le calcul est-il efficace ?
Moralement, il est sordide. Sordide, il n'y a pas d'autre mot. Bien des gens qui auraient admis que l'on passât les généraux Challe et Zeller par les armes trouvent odieuse la cautèle qui enrobe les explications données à l'éviction de Mlles Vanuxem.
Elles eussent été en situation délicate vis-à-vis de leurs compagnes de pension, nous dit-on. C'était à leur mère d'en décider.

De tels procédés exigent, quand on en use, que l'on renonce à se donner artificiellement bonne conscience avec des « trucs » dont personne n'est dupe. Entre le respect humain et sa négation, il n'y a pas de demi-mesure qui ne fasse boomerang.
Truc pour truc, il fallait en trouver un meilleur, ou bien reconnaître que la cruauté des temps contraint de frapper, aussi, les enfants. C'eût été plus décent, et sans doute mieux compris.
Politiquement, le calcul est absurde et ressortit à une psychologie bien sommaire. Toujours la même. Celle du mépris. Pour une femme qui risque de céder à cette pression oblique, il y en aura dix dont l'hostilité sera exaspérée, l'orgueil cabré.
Aux vieux messieurs qui veulent jouer sur ce clavier, Il faut conseiller d'apprendre d'abord la musique.
La psychologie de papa, elle aussi, est morte.

Mardi, octobre 29, 2013
L’Express