La marquise et les gazettes

Attrape au vol une rumeur lancée par un auteur de romans historiques dans « Apostrophes » : Mme de Pompadour aurait été frigide. Revient sur l'authenticité des carnets de Hitler, et l'émission que consacre tous les mois « Droit de réponse » à la justific
Eh bien, en voilà une information ! Mme de Pompadour était frigide. Parole de duc : en l'occurrence M. le duc de Castries, auteur de divers ouvrages historiques et membre de l'Académie française (« Apostrophes », A.2).
Et comment cet honorable académicien issu d'une vieille et illustre famille a-t-il eu connaissance de ce détail intime ? Par les confidences de quelque ancêtre ayant joui, si l'on ose dire en la circonstance, des faveurs glacées de la belle marquise, confidences transmises de génération en génération ? Nullement.
Les renseignements de M. le duc de Castries sont pure déduction d'un fait bien connu : Mme de Pompadour n'eut pas d'enfant, incapable qu'elle était de mener à terme une grossesse.
Curieuse manifestation de frigidité. Déduction hardie s'il en fut...
Comment s'étonner après cela qu'un autre historien, Trevor Roper, ait pu déclarer authentiques les « Carnets » de Hitler, quitte à changer d'avis le lendemain...
Authentiques ou mystificateurs, ces « Carnets » ont-ils valeur d'événement, et la presse quotidienne n'a-t- elle pas conféré à leur publication une importance excessive ?
Il n'est pas d'usage dans la presse que l'on se débine publiquement entre soi. Mais cette règle non écrite ayant été transgressée à l'occasion, les représentants du « Matin » et de « Libération », nommément accusés, ont présenté leur défense dans le cadre de « Droit de réponse » (T.F.1). Une fois par mois, une dizaine de journalistes responsables de rédaction dans un quotidien parisien sont ainsi réunis pour expliquer — et le cas échéant justifier — leur traitement de l'actualité.
Outre les fameux « Carnets », s'est posée cette fois la question de savoir si le plan d'austérité avait été scrupuleusement présenté dans ses divers aspects (accusé, « Le Figaro ») et si l'on a le droit d'écrire qu'un homme décédé, Georges Albertini, avait du charme ou quelques vertus, bien qu'il ait souhaité en 1944 la victoire de l'Allemagne et demandé l'exécution de ceux qui travaillaient à l'empêcher (accusé, « Le Monde »).
L'idée de sacrifier un samedi sur quatre à ce genre de contre-expertise est bonne. A une réserve près : le seul tribunal habilité à juger en dernier appel un journal, c'est celui que constituent ses lecteurs et non ses confrères.
Mais pourquoi ceux-ci ne seraient-ils pas appelés à donner leur avis, étant entendu que chacun peut se trouver à son tour au banc des accusés ? L'exercice est plutôt sain et ne peut encourager que la vigilance de chacun, s'agissant de son propre journal.
Intéressante pour les professionnels de la presse, cette confrontation l'est-elle également pour ceux qui n'en sont que les consommateurs ? Je ne sais... Il me semble que si ces derniers en ont la curiosité, ils peuvent apprendre là, subtilement exprimées, plus de choses sur leur quotidien habituel, sa philosophie, ses moyens, éventuellement ses hypocrisies, ses partis pris, ses fausses pudeurs et ses vrais ratages, qu'ils n'en savent en général en le lisant.
D'autant plus que les visages des participants, superbement cadrés, utilisés avec une remarquable efficacité par le réalisateur Maurice Dugowson, ont parfois plus d'éloquence encore dans le silence que dans le discours.
Ce fut, samedi dernier, un très rare exemple de « bavardage » collectif, où l'image avait une dimension et une intensité propres. Les quotidiens intéressés ont avantage à choisir avec discernement leurs porte-parole. Sous ces caméras-là, on les lit — cyniques ou frivoles, usés ou ardents, consciencieux ou sectaires — à visage ouvert...

P.-S. - Pauvre Yvette Roudy ! Ce qu'on lui fait, ce n'est pas gentil. Je n'ai aucune envie de me mêler de ses affaires. Mais voilà que Simone de Beauvoir m'y mêle malgré moi dans un article du « Monde » en détournant un propos (« Chacun est libre de ses fantasmes ») de son objet (« Histoire d'O »). Ce n'est pas grave.
Mais de la part d'une dame si sérieuse, cela m'étonne.

Mardi, octobre 29, 2013
Le Nouvel Observateur