La limite d'âge

Histoire du parti radical
La limite d'âge

Sur les jeunes visages, se lisaient l'attention, la foi, la volonté de faire l'avenir et non de le subir lorsque, du haut de la tribune où il parlait à Lyon, M. André Morice lança : « On n'est pas radical à 18 ans ou à 20 ans. On le devient quand on a eu le temps d'étudier l'histoire de la République. » Il y eut un moment de stupeur. Ces jeunes gens, ces jeunes filles qui sont lentement venus depuis le 4 mai 1955 renouveler le vieux sang du vieux parti, apprenaient ainsi de la bouche du député de Loire-Inférieure pour lequel certains d'entre eux avaient peut-être voté, qu'ils auraient mieux fait d'aller militer ailleurs. Au parti communiste, sans doute ?
Ils auraient pu répondre à M. André Morice qu'il y a probablement deux manières de devenir radical, et que depuis la scission de Lyon, il n'y en a plus qu'une : la leur.
L'histoire de la République, ils la connaissent. Ils savent que du temps qu'elle se confondait avec celle du parti radical, les hommes qui animaient ce parti, avaient du courage, de l'audace, un programme révolutionnaire qu'ils surent faire triompher. Gambetta, Clemenceau, Pelletan, Herriot eurent une mystique. Trop de leurs successeurs n'eurent plus qu'une politique : rester les jaloux horticulteurs d'une pépinière à ministres qui, justement ou injustement, sont devenus pour les jeunes Français les symboles de la décadence et du pourrissement.
La République, les jeunes gens qui ont mis leur espoir dans le parti radical issu du Congrès de Lyon, l'aiment passionnément, mais sous son visage grave et ardent, non sous le réseau de rides hideuses que lui ont tissé ceux qui ont vécu d'elle au lieu de vivre pour elle.
La scission de Lyon, ils l'ont ressentie comme la victoire d'un présent lucide sur un passé dont le poids a failli les enfoncer dans le désespoir et la haine du régime. Tout n'est pas gagné, il s'en faut. Beaucoup d'hommes et de femmes ne sont encore que des convalescents de l'espoir. La moindre rechute peut les rejeter dans le scepticisme égoïste ou dans l'extrémisme.
Ils risquent de s'y réfugier — il faut bien qu'on le sache — si « l'on ne peut pas être radical à 20 ans ».
Mais au bout d'une longue, d'une patiente bataille peut renaître et se fortifier à travers le pays la volonté de recréer une force saine, de faire circuler un sang neuf dans les veines du grand corps douloureux de la France.

L'EXPRESS

Mardi, octobre 29, 2013
L’Express