La lettre de ''L'Express''

Réflexion sur la jeunesse
Un homme ardent, jeune, mais dont le visage est comme ravagé par un feu intérieur, jette avec force : « Honneur, justice, devoir, patrie, amour... Ces valeurs humaines, les vraies, si vous voulez que la jeunesse les respecte, il faut commencer par leur trouver d'autres noms... Pas ces étiquettes réversibles, éculées d'avoir servi à l'endroit comme à l'envers pour les besoins de la cause... Vous ne comprenez pas que les jeunes, tous les jeunes refusent d'entrer dans les mensonges d'adultes ? ». L'homme qui tient ce propos est un magistrat. Un magistrat pour qui ces valeurs ont conservé plus que pour quiconque tout leur prix mais qui, de par son métier, plonge quotidiennement dans le monde clos de l'adolescence d'aujourd'hui, des hommes de demain. Il est Juge au tribunal pour enfants. Il lui arrive d'en interroger dix par jour qui ont 15, 16, 17, 18 ans. C'est le résultat d'une longue expérience qu'il livre ici cette semaine.
La jeunesse, pour lui, ce n'est pas une abstraction, celle qu'on nomme « notre belle jeunesse » lorsqu'elle se fait tuer, et « cette jeunesse pourrie » lorsqu'elle tue.
Non. La jeunesse, pour lui, c'est Paul, c'est Jean, c'est Pierre, c'est ce monde grouillant, divers, mouvant, où s'insère aussi bien le fugueur, le voleur de Vespa que son propre fils.
A tous, il a découvert un dénominateur commun : un mépris féroce pour ce qu'il nomme « le baratin », ce dialecte d'adultes lourd de mots désaffectés.
Toutes les générations ont été confrontées au même problème : recevoir de ses parents un bagage de mots morts que ceux-ci ont transmis tels qu'ils les ont eux-mêmes nourris et habillés, découvrir que la moelle de ces mots s'est desséchée et leur réinventer une substance.
Ceux qui proclament aujourd'hui : les jeunes ne croient pas à l'amour... devraient dire : « Ils ne croient pas à l'idée que je me fais de l'amour ». Et lorsqu'ils s'en seront fait à leur tour une idée qu'ils pourront figer dans un mot, ils ne seront plus si jeunes que ça.
Ce mouvement perpétuel des mots, c'est l'expression même de la vie qui marche.
En 1941, un enfant de 5 ans demanda à son père, ministre de Vichy :
— Le général de Gaulle, qui est-ce ?
— C'est un traître, répondit le père.
L'enfant se tut. Puis après quelques minutes de réflexion :
— Quand je serai grand, je veux être traître.
Il y a peut-être en ce moment un enfant de 5 ans qui demande à son père, ministre :
— Le général de Bollardière, qui est-ce ?
— C'est un mauvais Français.
— Quand je serai grand, répondra l'enfant, je veux être un mauvais Français.

Mardi, octobre 29, 2013
L’Express