La lettre de ''L'Express''

Ce qui se cache derrière une vie en apparence banale
Les moments dits historiques ne sont jamais ressentis tels par ceux qui les vivent.
Ce que nous voyons, c'est le temps qu'il fait, la feuille d'impôts qui tombe, les enfants qui s'enrhument, la petite Untel qui se marie, les fêtes qui approchent. De temps en temps, dans le ciel gris et bleu de la vie quotidienne, un éclair. Chacun éprouve alors la fragilité de ce qu'il a construit : un foyer, une carrière, un amour. Quoi ? tout cela peut être menacé, détruit, balayé parce que, dans l'Olympe de la politique, des dieux fous se battent entre eux ?
On baisse la tête, on courbe le dos, on se sent seul, nu, démuni. A moins d'être assez fou pour se battre aussi, ce qui vous épargne d'y trop penser. Et puis l'orage s'éloigne, et la vie reprend. Pourtant, quelque part, quelque chose s'est cassé. Quelque chose est mort, quelque chose s'est mis en marche. Mais quoi ?
Rien qui blesse la vue, rien qui alerte les sens. Le lecteur qui trouve, à la « une » de son journal, ces titres d'actualité : « L'Algérie à l'O.N.U. »...
« MM. Chaban-Delmas, Lejeune et Reynaud candidats à la présidence de l'Assemblée nationale »... et ce début d'article : « M. Pinay, qui a reçu mardi matin M. Baumgartner, gouverneur de la Banque de France, poursuivra cette semaine la mise au point définitive du budget »... ce lecteur ne se sent pas au centre d'une révolution.
Et lorsque les légions des Cieux vainqueurs apparaissent dans les cocktails ou au Parlement, que découvre-t-on ? Qu'ils ont de bonnes paroles pour les petits enfants, et les plus nobles intentions.
Et puis on entend une voix au téléphone : « Alors, c'est nous qu'on est au pouvoir maintenant, hein ? »
C'est un ancien sergent-chef qui a servi en Algérie, où il a eu quelques ennuis.
— Vous êtes au pouvoir, vous ? Et depuis quand ?
— J'suis élu ! J'suis le suppléant de Biaggi. Le pouvoir, maintenant, c'est lui, c'est Delbecque, c'est moi, c'est nous quoi !... Et on va vous montrer si on est des...
Dans le récepteur, on perçoit un chuchotement impérieux :
—- Ne les menace pas, surtout ne les menace pas ! Alors, la voix :
— J'vous menace pas, hein ?... J'vous menace pas !
Il est parfait. Il continue :
— Maintenant, on va se mettre au travail.
Joyeux Noël.
C'est cela qui s'est mis en marche. Mais « l'homme pense à l'aller, peu au retour. »

Mardi, octobre 29, 2013
L’Express