La lettre de ''L'Express''

Réagit face aux propos du maréchal Juin qui affirme que la guerre en Algérie est terminée
C'est fait. Tel Burrhus, « avec la liberté d'un soldat qui sait mal farder la vérité », le maréchal Juin vient de manger le morceau : la situation algérienne n'est pas du tout celle que l'on pourrait croire. Que les cœurs se dilatent, que les rues se parent de guirlandes, que la joie éclate, que les mères prononcent avec ferveur une action de grâces, que les jeunes hommes regardent enfin l'avenir avec espoir, que les candidats revisent en hâte leur programme électoral : c'est fait. La guerre d'Algérie est terminée.
En vérité, on se demande même, à lire les propos sensibles et éclairés du maréchal Juin, comment une telle guerre a jamais pu exister et comment certains peuvent encore répandre « le mythe d'une Algérie dont le statut serait évolutif ». En tout état de cause, c'est fini. Tout va rentrer dans l'ordre : les musulmans à la casbah, l'armée à la caserne.
Les difficultés de la pacification électorale ? « Peut-être règne-t-il aujourd'hui une certaine confusion, mais n'entend-on pas dire souvent la même chose de la situation politique en France ? »
Le refus opposé par le F.L.N. à un cessez-le-feu ?
« On connaît la susceptibilité de ces gens-là... Il n'en demeure pas moins que LA GUERRE EST VIRTUELLEMENT TERMINEE », écrit le maréchal en lettres majuscules.
A cet endroit de sa déclaration, le doute peut étreindre.
Virtuellement, bien sûr, cela n'engage pas. Toute guerre commencée est virtuellement terminée. De même que nous sommes tous virtuellement morts, puisque virtuel signifie, en bon français, « en puissance mais sans effet actuel ».
Mais le maréchal précise plus loin, toujours en majuscules, que la guerre « TOUCHE ACTUELLEMENT A SA FIN ».
Pas de doute : il y croit. Et la guerre, c'est tout de même sa spécialité, non ? On ne devient pas maréchal de France en jouant aux billes.
Alors, que se passe-t-il ? Comment une nouvelle d'une pareille importance a-t-elle pu demeurer secrète ? Aujourd'hui encore, chose étrange, nul ne semble au courant, hormis les lecteurs de « L'Aurore », qui ont eu l'exclusivité des déclarations du maréchal.
La presse mondiale reste muette. Le porte-parole du gouvernement ne confirme ni ne dément. (Les amis de M. Soustelle affirment que le ministre n'est pas au courant, qu'il ne lit pas « L'Aurore » — l'ingrat ! — et qu'on ne peut pas avoir les yeux partout.)
Pourtant, que diable, si la guerre est terminée, il doit bien y avoir quelques personnes qui s'en sont aperçues. Le maréchal Juin ne l'a pas constaté de son balcon.
Nous avons appris pendant de longs mois que la pacification n'était pas la guerre. Voilà maintenant que la guerre, c'est la paix. Avance-t-on davantage dans la pensée du maréchal Juin ? On y découvre que la paix est une situation où il se peut que « le F.L.N. continue la lutte comme il nous en menace ». Encore quelques-uns qui ne doivent pas être au courant.
Le plus inquiétant, c'est qu'il arrive au maréchal Juin de participer aux travaux des Académiciens, lorsque ceux-ci élaborent les définitions de leur dictionnaire.

Mardi, octobre 29, 2013
L’Express