La lettre de ''L'Express''

Sur le ralliement des députés au général de Gaulle
Général, les voilà !
Ils ne viennent pas ; ils accourent. Ils ne s'inclinent pas ; ils s'agenouillent. Ils ne composent pas ; ils se décomposent. Là, où l'on parle bien, on dit qu'ils se rallient. Ailleurs, on raconte qu'ils se bousculent au portillon.
Mais que vois-je ? Il en manquerait un ? Parmi les joyaux dont le défunt Parlement va couronner la tête de son héritier, il en manquerait un ? Nul doute, il en manque un, et d'un bel éclat cependant : M. Bourgès-Maunoury.
M. Bourgès-Maunoury dit NON.
Il faut arranger ça. Que le général le prenne, nous le lui donnons. Sans façon. M. Bourgès-Maunoury ne veut pas ? Il aurait des convictions ? Une demi-heure de conversation, et il n'y paraîtra plus. Le général a réussi des conversions plus difficiles. Non que celle-ci soit tellement importante dans ses effets, mais esthétiquement, elle serait satisfaisante. On aimerait que les perles de la couronne fussent au complet, que les princes du Parlement se soient tous reniés avant que le coq chante...
A l'un ou deux d'entre eux, cependant, on peut faire le crédit de penser qu'ils se sont décidés en conscience — et non en fonction d'intérêts électoraux immédiats — à faire campagne pour le OUI.
Plus il y aura de OUI, disent ceux-là, plus il y aura de chances pour que des négociations soient entamées en Algérie.
Le colonel Lacheroy leur a répondu : « Plus il y aura de OUI, plus il y aura de chances que la thèse que nous soutenons en Algérie soit prise en considération. »
Qui sera le dindon de la farce ?
Ces deux propositions étant rigoureusement contradictoires, nous assisterons inéluctablement, dans un avenir plus ou moins proche, à la révolte des dupes.
L'ennui est que ce jour-là les colonels disposeront toujours, pour exprimer leur révolte, de moyens mécaniques communément appelés mitraillettes. Alors que les députés républicains ne disposeront plus que de leur mouchoir pour pleurer.
Quitte à faire des dupes, de quel côté le général de Gaulle les choisira-t-il, alors ? Tel est le pari. Il aurait pu se poser autrement.
Supposons que le 28 septembre les Français de la métropole et les deux populations algériennes soient appelés à répondre à cette question : « Voulez-vous l'intégration ? Ou voulez-vous la négociation ? » La réponse eût été claire, sans équivoque.
Et la position d'arbitre à laquelle aspire le général de Gaulle eût été pure : faire respecter, par la minorité, les vœux de la majorité.
Il ne l'a pas entendu ainsi. Nul doute cependant qu'il ait lu Michelet : « Cette affaire, grave en elle-même (...), fut un solennel champ de bataille où se rencontrèrent et se combattirent deux principes et deux esprits ; l'un, le principe original et national qui avait fait la Révolution, la justice, l'équitable humanité ; l'autre, le principe d'expédients, d'intérêt, ce qui s'appela Salut Public, et qui a perdu la France.
« Les docteurs de l'intérêt public, du salut du peuple auraient dû lui demander au moins s'il voulait être sauvé. L'individu, il est vrai, avant tout veut vivre ; mais la masse est susceptible de sentiments bien plus hauts. Qu'auraient-ils dit, ces sauveurs, si le peuple eût répondu : je veux périr et rester juste ? Et celui qui dit ce mot, c'est celui qui ne périt point ».

Mardi, octobre 29, 2013
L’Express