La lettre de ''L'Express''

Saynète imaginaire où plusieurs français réagissent à l'annonce de Soustelle en tant que ministre de l'Information. Met en exergue la méconnaissance et le peu de suivi des affaires politiques : méconnaissance du politique par les Français
Françoise Giroud est en vacances pour quelques jours dans un hôtel de la côte atlantique, d'où elle nous a téléphoné sa
« Lettre » :

« Ça y est, Soustelle est ministre ! ».
C'est un monsieur qui parle. Fort. Le monsieur que l'on appelle souvent de Paris et qui en est tout gonflé d'importance. Dans un salon d'hôtel, ça vous pose un homme.
Il attend visiblement que son information, toute fraîche, provoque quelques réactions. Rien. Silence.
Sa femme enfourne patiemment de la compote dans la bouche d'un garçonnet sournois. Avec cet air malheureux des mères des enfants qui n'ont pas d'appétit et qui, elles, en ont trop.
Un garçon de dix-huit ans se tortille en chantant obstinément un air de Belafonte avec un mauvais accent anglais. « Soustelle, dit enfin la femme du monsieur pour lui faire plaisir, c'est lequel ? ».
Un second monsieur lève le nez. Il a quelque chose à dire : « Le vent est à l'est. Je crois que nous aurons beau temps. »
Le premier monsieur le toise et grommelle, écœuré : « Des chiffes molles ! Les Français sont des chiffes molles ! Il fera beau. Il ne fera pas beau. Les soles étaient bonnes. Le rôti trop cuit. Ah ! le général , va avoir bien du mal avec ces chiffes molles ! ». Un temps. « Qu'est-ce que vous en pensez de Soustelle à l'Information ? ».
La vieille dame qu'il apostrophe, répond, effarée : « Oh ! moi, Monsieur, je ne suis pas compétente. Il y a quinze ans que je suis veuve. »
Une jeune femme intervient. Elle ne se déplace jamais sans un appareil de radio portatif qu'elle appelle « mon transistor », comme elle dirait « mon caniche ».
Il arrive que son transistor rencontre un autre transistor. C'est toujours l'autre qui cède.
Elle demande à mi-voix : « C'est donc important ?
— Quoi ?
— Que Soustelle soit à l'Information ? ».
On racontait, pendant l'occupation, l'histoire de ce monsieur qui passait avec son jeune fils devant un poste à essence désaffecté. L'enfant demandait : « Papa, à quoi ça sert ? ». Et le père répondait, las : « Ce serait trop long à t'expliquer. »
Soustelle, ce serait trop long à lui expliquer.

Mardi, octobre 29, 2013
L’Express