La lettre de ''L'Express''

Dialogue imaginaire au sujet du nouveau gouvernement formé par de Gaulle
— Lors, allons-nous enfin avoir un gouvernement ?
— Vous êtes bien pressé !
— Il y a de quoi ! Notre prestige s'écroule...
— Et vous considérez que l'existence d'un gouvernement a contribué, ces derniers temps, à le relever ?
— Nos devises fendent...
— Un gouvernement a-t-il pris, ces dernières années, les mesures qui les reconstitueraient ?
— Nous sommes en train de faire l'unanimité contre nous...
— Est-ce à Suez ? ou à Sakiet que les précédents gouvernements ont réussi à la faire pour nous ?
— Des hommes tombent tous les jours en Algérie...
— La présence d'un gouvernement a-t-elle jusqu'à présent modifié cette situation, sinon pour l'aggraver ?
— Le prochain réussira peut-être à rétablir la paix !
— Avec qui ?
— Avec... l'adversaire.
— Hors d'ici, traître.
— Mais Louis Gabriel-Robinet rappelait lui-même mardi que « nos soldats tombent... »
— Un défaitiste, celui-là.
— Et que la carence du pouvoir...
— Qu'appelle-t-il le pouvoir ?
— Je ne sais pas.
— Lui non plus.
— Enfin, si nous avions un gouvernement...
— Vous y tenez ?
— Avouez que nous ne sommes pas en situation de nous en passer !
— Au contraire. C'est la seule situation que nous soyons encore en état de supporter. Observez plutôt ce qui se passe. La chute du ministère Gaillard a suspendu à la fois les grèves dans le secteur public, la plainte tunisienne à l'O.N.U., l'offensive du F.L.N., les pressions de toutes sortes. On ne peut pas faire pression sur ce qui n'existe pas. Pas de gouvernement, pas de pression. La tranquillité.
— A vous écouter, l'état de crise serait idéal !
— Par rapport aux résultats acquis lorsqu'il s'interrompt, reconnaissez qu'il n'est pas mauvais.
— Nous tomberons peut-être mieux la prochaine fois.
— Peut-être. Mais M. Gaillard reconnaît volontiers qu'il a employé, durant son règne, l'essentiel de son ingéniosité à manœuvrer pour ne pas tomber. Maintenant que c'est fait il constate, dit-il, que pour la première fois il a le temps de travailler et de penser aux choses sérieuses.
— Que ne l'a-t-il fait plus tôt !
— On ne peut pas être à la fois sérieux et d'accord avec M. Duchet.
— Au diable, M. Duchet !
— Hé, hé ! Savez-vous que vous venez d'énoncer un programme politique ?

Mardi, octobre 29, 2013
L’Express