La lettre de ''L'Express''

Critique virulente contre les parlementaires de la Ivème République
Comme ils ont eu peur ! Comme ils ont peur ! Comme ils ont raison d'avoir peur, ceux qu'une manifestation un peu bruyante a brusquement confrontés, au sein de l'aquarium du Palais-Bourbon, avec la réalité de la violence !
C'est qu'ils ont à la fois contre eux les tenants véritables du fascisme et les tenants véritables de la démocratie. Cela peut finir par faire un jour beaucoup de monde pour se réjouir, lorsque quinze députés seront jetés à la Seine.
Aussi comprend-on que, pour défendre le régime ducheto-molleto-gaillardiste, les parlementaires et leurs amis se retrouvent soudés par une commune terreur.
C'est qu'il est bien commode, ce régime. Du haut d'une tribune, l'insulte fuse. Dans les couloirs on se tutoie, on se serre la main, et puis on va dîner ensemble.
Dans les congrès, on joue au patriote pur et dur, ô ineffable M. Duchet... Dans les ministères, on demande et on obtient des faveurs pour les amis et des rubans pour les électeurs.
Avant les élections, on s'injurie. Pendant on s'apparente, et de ces monstrueux accouplements on s'étonne que naissent des infirmes.
L'immense complicité des « gens en place », combien sont-ils qui s'y refusent ? Cinq ? Six ? Et, à l'écart, les communistes qui rient, qui ont bien raison de rire car ils riront les derniers.
Toute l'affaire consiste, pour ceux qui détiennent le pouvoir, à laisser croire que la pourriture des mœurs, des institutions et des hommes étant inhérente, à la démocratie, le choix n'existe qu'entre cette pourriture et l'assassinat de la démocratie.
Mais enfin, qu'est-ce que la démocratie ? Une collusion de petits monarques et de courtisans vivant dans le désordre, l'impuissance, l'impunité et la gabegie ? Ou un système qui permet à la nation de désigner ceux qu'elle charge de gouverner, puis de les maintenir au pouvoir ou de les en écarter selon qu'ils auront bien ou mal rempli leurs fonctions ?
L'Amérique est une démocratie. L'Angleterre est une démocratie. Tout n'y est pas irréprochable, ni les hommes ni les mœurs. Mais lorsque le général Mac Arthur risque, pendant la guerre de Corée, d'entraîner son pays dans une conflagration mondiale, le président Truman ne saisit pas les journaux ; il saisit le général. (Quoi qu'en dise M. Rogier, sénateur indépendant d'Algérie, qui a candidement affirmé le contraire au congrès de son groupe. Cher M. Rogier... il sait l'histoire à peu près comme M. Duchet la raconte.)
Lorsque M. Eden s'égare à Suez, il n'en revient pas dictateur à Buckingham Palace : il démissionne.
Ce n'est pas défendre la démocratie mais l'insulter que de l'assimiler à une sorte de système D dont la France détiendrait le précieux privilège. Chacun le sent bien, « la République trois fois reniée, trois fois maudite, trois fois trahie chaque jour avant que le coq n'ait chanté », est en grand danger.
En grand danger d'être confondue avec sa caricature.
Le moment venu de la défendre, il conviendra de bien savoir contre qui.

Mardi, octobre 29, 2013
L’Express