La lettre de ''L'Express''

Réagit aux propos d'un collègue du Figaro, Rémy Roure. Critique du gouvernement en place
Vous voyez ce monsieur assis à la table voisine ? Regardez ses mains...
— Qu'ont-elles de particulier ces mains ?...
— Elles tenaient, un jour de 1943, une barre de fer pour défoncer la poitrine d'un jeune homme. Puis pour battre un prêtre agenouillé, les mains liées derrière le dos. Puis pour soulever la jupe d'une jeune fille de 16 ans devant une assemblée qui rit beaucoup de cette excellente plaisanterie. Alors la jeune fille s'est précipitée vers la fenêtre, elle s'est jetée dans le vide et elle s'est écrasée dans la cour de la rue des Saussaies.
— Où allez-vous ?
— Je vais dire un mot à cet homme...
— Est-ce bien utile ?
— Jugez-en. Je lui dois des excuses. Car ce jour-là je l'ai insulté jusqu'à ce qu'il me fasse rentrer la voix dans la gorge. Or, je vous le demande, qu'avait-il fait dont un homme aussi éminemment respectable que M. Rémy Roure, déporté chroniqueur du « Figaro », ne nous conseille cette semaine de l'absoudre sinon de le féliciter ? Cette poitrine défoncée était une poitrine communiste. Le prêtre martyrisé abritait peut-être des communistes... Cette jeune fille aurait pu le devenir...
— M. Roure n'a pas tort en un sens. Les communistes qui n'ont pas protesté contre les massacres commandés au nom de leur idéologie sont mal venus de se plaindre aujourd'hui.
— Je ne vous le fais pas dire. Les Français qui ne protestent pas contre les tortures infligées au non de leur idéologie sont mal venus de se plaindre, fût-ce rétrospectivement, et de se parer de leur costume de douleur pour moraliser.
— Vous m'ennuyez. Right or wrong, mon pays est mon pays.
— C'est aussi ce que disait cet Allemand.
— Si nous parlions d'autre chose ?
— C'est cela. Parlons d'autre chose.
— Je tiens à vous le dire, cette saisie m'a indigné.
— Moi pas.
— Vous vous y attendiez ?
— Non. Oui. Pourquoi, mais pourquoi pas ?
— Que disent-ils, au gouvernement, quand on leur en parle ?
— Tout dépend de qui leur en parle.
— Enfin quelqu'un est responsable. Gaillard ? Bourges ? Lacoste ?... Pourquoi riez-vous ?
— Excusez-moi. C'est l'idée que quelqu'un puisse être responsable. Un ministre français d'aujourd'hui n'est jamais responsable. Il obéit.
— A qui ?
— C'est selon. Aux tristes nécessités. Il ne faut pas leur en vouloir...
— Que d'indulgence !
— Indulgence n'est pas le mot que j'aurais employé.
— Indifférence ?
— Certes pas.
— Découragement ?
— Moins encore.
— Alors quoi ?
— Je vais vous le dire à l'oreille.
— ...Oh !
— Vous saisissez ?

Mardi, octobre 29, 2013
L’Express