La lettre de ''L'Express''

Aveu d'un haut fonctionnaire français, publié dans Le Figaro : la torture est un moyen de gouvernement. FG condamne fermement la torture, sans conditions.
Louis Martin Chauffier vient d'écrire un article où, en termes mesurés, il observe bien simplement que la torture est un moyen de gouvernement en Algérie, puisqu'un Igame la considère officiellement comme telle. Ajoutons que le nom de ce fonctionnaire supérieur est connu depuis longtemps, son action également, et qu'il est toujours en place.
Cet article, ce n'est pas la presse communiste qui le publie, mais le Figaro. Certes, toutes les précautions d'usage entourent l'aveu, et d'abord celle qui consiste à dire : « C'est lui qui a commencé, M'sieur ! » Puis à annoncer rénumération des atrocités dont les rebelles se rendent coupables, pour faire avaler cette petite pilule de vérité : il y a des Français, responsables, chargés de hautes fonctions, qui ont choisi délibérément de pratiquer ou de faire pratiquer la torture.
Il y en aura toujours. Il y en a eu pendant l'occupation au détriment des résistants. Il y en a eu après l'occupation au détriment des collaborateurs. Il y a aussi des éventreurs, des bourreaux d'enfants et des pyromanes.
L'important est de savoir si, oui ou non, on accepte le principe de la torture infligée à un être humain. C'est une question très simple, qui ne souffre aucun commentaire.
Prétendre que le bourreau peut agir parfois dans un accès de légitime colère, c'est ne rien connaître à la torture.
Dans un accès de colère ou de douleur, on peut tuer. On ne torture pas. La torture est une opération qui se mène à froid, et qui conduit celui qui la pratique à la plus haute jouissance. Elle s'accompagne presque tou-
jours d'injures immondes, car elle est obscène comme le plaisir qu'elle déclenche.
J'en appelle à tous ceux qui ont vu d'un peu près ces messieurs de la rue des Saussaies — ou de Montluc, à Lyon, ou du 92, à Clermont. Ont-ils jamais été battus, immergés, asphyxiés, ligotés, par des patriotes allemands indignés qui se disaient : « Je suis en train de venger mon frère et de sauver, en obligeant celui-ci à parler, cent de mes compatriotes » ?
Aux consciences inquiètes qui seraient tentées de répondre : « Je suis contre la torture en général, mais... », il faut dire, parce que c'est vrai : « Il n'y a pas de mais. Si vous n'avez jamais été aux mains d'un bourreau ricanant — car cela les amuse toujours — si vous n'avez jamais vu naître lentement sur le visage d'une femme ou d'un homme la volupté qu'il tire de votre humiliation, de votre souffrance, de votre déchéance, vous ne savez rien de la torture. Pas même ce que vous pourriez faire d'elle, pas davantage ce qu'elle peut faire de vous. »
Torturer est une intense satisfaction que s'accordent certains individus dans des situations données. Nous sommes dans une situation où quelques hommes peuvent en jouir pleinement, au lieu d'être internés dans des hôpitaux psychiatriques, de s'enivrer ou de battre leur femme.
A vous de décider si vous acceptez d'identifier votre pays à ces hommes.
Encore une fois, c'est une question très simple. On ne peut y répondre que par oui ou que par non.

Mardi, octobre 29, 2013
L’Express