La lettre de ''L'Express''

Guerre d'Algérie : réfléchit avec humour et cynisme sur ce que signifie la paix
Si les trois hommes qui m'ont torturée étaient un jour inquiétés, et sonnaient chez moi, je les hébergerais de la même façon... » Cette petite phrase, prononcée à l'audience par Mme Gautron, l'une des inculpées du procès des libéraux d'Alger accusée d'avoir donné asile à des musulmans, il fallait qu'elle fût dite.
N'est-il pas beau que, dans la confusion des esprits et des cœurs, le fil d'or de la conduite individuelle puisse encore briller ?
Si elle tombe sous les yeux des tortionnaires, qu'ils se trouvent dans le clan des égorgeurs d'enfants ou dans celui des électrocuteurs, ils ricaneront et répondront que les guerres ne se gagnent pas en pratiquant le pardon des offenses, et l'amour de son prochain. Les guerres, non. Mais la paix, quelquefois.
La paix, il est vrai, personne ne semble plus y songer que comme à une issue fatale dont il convient de retarder au maximum l'échéance.
C'est que la paix pose les vrais problèmes — construire des maisons, instruire des enfants, hisser chaque jour plus d'hommes hors de la misère et de l'obscurantisme, donner un sens à l'effort quotidien — tandis que la guerre les élude.
Il y a des mots — patrie, indépendance — pour lesquels on fait et on se fait volontiers tuer. Mais quels sont les mots avec lesquels on fera vivre ?
« Le patriotisme, écrit M. Soustelle en réponse à M. Raymond Aron, de nos jours est incommode. Cela ne se porte plus à Paris. » Il semble bien au contraire que cela se porte plus que jamais, surtout le dimanche dans les discours ministériels et que cela n'a jamais été plus commode puisqu'il suffit de crier « Algérie française » pour que le brevet vous en soit décerné.
IL y a 48 ans, le 31 juillet 1914, Jaurès était assassiné par l'un de ces patriotes, après avoir connu tous les outrages réservés à ceux qui ne tiennent pas la guerre pour le remède magique aux maux dont souffre leur pays.
Nul n'a le droit de faire parler les morts et de prétendre savoir quel contenu Jaurès eût donné, aujourd'hui, à ce mot : patriotisme.
Mais que l'on relise ce que, vivant, il disait du courage et l'on verra pourquoi il est plus courant d'être patriote le dimanche que courageux en semaine.

Mardi, octobre 29, 2013
L’Express